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07/02/2015

Dictionnaire du Poignard Subtil

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ARTISTOCRATIE:

 

     « L’artistocrate est plus qu’un anarchiste : c’est l’anarchiste, dont la vie est un foyer d’art, un centre de beauté, une création incessante, un épanouissement perpétuel. Il se développe, et il développe les autres par l’exemple qu’il leur donne d’une vie supérieure. »

G. Lacaze-Duthiers, cité par Hem Day dans un numéro de la revue Spiritualité, repris dans la revue (spiritualiste) 3e Millénaire.

 

N-B: Ne dirait-on pas ici, dans cette vision de "l'artistocrate", comme une préfiguration du situationniste, ou du créateur d'art brut vivant l'art au cœur de sa vie quotidienne? Si le terme, artistocrate, paraît d'un choix peu judicieux, car il implique un aspect quelque peu élitiste, bien que je crois son auteur, Lacaze-Duthiers, s'en défendît absolument, la revendication d'une pratique de l'art incessante fondue avec la vie sonne en effet précurseur (Le sciapode).

Voici une notice sur lui extraite d'un site internet qui ne paraît plus exister, mais qui est cité sur le site de cette revue 3e Millénaire: "Gérard de Lacaze-Duthiers (1876-1958) homme de lettres, grand-prix de l’Académie française. Militant anarchiste individualiste, ami des arts et intellectuel pacifiste. Il est né le 26 janvier 1876, à Bordeaux. Professeur de lettres, il collabore dès 1911 à « L’Idée libre » publiée par André Lorulot, puis aux nombreuses publications de la presse libertaire. Il adhère à l’Union Anarchiste puis devient membre du groupe « l’Action d’Art » animé par André Colomer. En 1931, faisant de la devise « Fais de ta vie une œuvre d’art », il crée la « Bibliothèque de l’Artistocratie », qui publiera de nombreux ouvrages d’art et de littérature. En 1933, il est président de l’Union des Intellectuels pacifistes, et l’année suivante co-directeur de la Ligue Internationale des combattants pour la paix. En 1947, il devient un des responsables du Parti Pacifiste Internationaliste puis, en 1954, Président du Syndicat des journalistes et écrivains. Outre sa participation à la presse libertaire et à « l’Encyclopédie Anarchiste » de Sébastien Faure, il est l’auteur de plus de 40 livres et brochures, traitant d’art de littérature et de pacifisme : « Le culte de l’idéal », « Psychologie de la guerre », « Sous le sceptre d’Anastasie », « Pensées pacifistes », etc."

29/01/2015

"Les Cahiers Dessinés", une expo de dessin tous azimuts à la Halle Saint-Pierre

     Cela fait du bien une exposition fourre-tout de temps à autre (j'avais personnellement pas détesté l'expo du "Mur", consacrée à La Maison Rouge, espace qu'il dirige lui-même, par Antoine de Galbert à une bonne partie de sa collection extrêmement éclectique dont il avait laissé le soin de l'accrochage à un programme d'ordinateur qui le conçut de façon aléatoire en fonction des dimensions des œuvres). La Halle St-Pierre, ayant à peine décroché Sous le Vent de l'Art Brut 2 nous en propose une (du genre fourre-tout) entièrement consacrée (du 21 janvier au 14 août), sous l'égide de la revue et de la maison d'édition de Frédéric Pajak Les Cahiers Dessinés, au dessin sous de multiples formes. Je ne ferais pas ici le tour de ce foyer de créativité sympathique, que je regarde à la marge de mes marottes préférées, tout en admirant de loin. Je me contenterai de conseiller celui qui veut en apprendre davantage de se connecter au site de la revue (qui s'intitule pour ce qui la concerne, seulement elle, au singulier, Le Cahier Dessiné), ou de venir voir l'expo et la librairie de la Halle St-Pierre qui propose en ce moment un grand choix de publications consacrées aux divers dessinateurs défendus par les Cahiers Dessinés.

 

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Couverture du catalogue de l'exposition

 

     Non, ce que je me propose de faire là c'est une sorte de tour résolument subjectif, comme à l'ordinaire, mais sous une forme peu utilisée jusqu'à présent, en suivant ma dérive dans l'expo le portable à la main, faisant des photos qui par leur très médiocre qualité ne pourront en aucun cas concurrencer la qualité des éditions des Cahiers Dessinés (il y a un très beau catalogue de l'exposition). Le premier dessin sur lequel je m'arrêtai comme un chien de chasse la patte en l'air  fut une œuvre de Wols, le peintre, dessinateur et photographe. Sensible, fin, raffiné, fragile, délicat sont les mots qui viennent à l'esprit quand on tombe sur des œuvres de Wols (voir ci-contre).les cahiers dessinés l'exposition,halle saint-pierre,frédéric pajak J'ai oublié de dire que j'ai commencé comme de juste par la salle noire du rez-de-chaussée, et c'est d'ailleurs là que j'ai pris la majorité de mes photos. La salle noire... L'éternelle salle noire de la Halle Saint-Pierre réservée semble-t-il aux œuvres secrètes, les plus marquées par le recours à l'inconscient, non? Tandis que le premier étage, plus éclairé par le jour, serait davantage voué aux œuvres de communication?

 

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Yersin

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Le Comte de Tromelin

 

     Dans la zone près de Wols on trouvait quelques chefs-d'œuvre et l'on tournait la tête ébloui, Yersin, Unica Zürn (des œuvres en noir et blanc et des œuvres en couleur, toutes exceptionnelles ; je me demande si je ne préfère pas celles en couleur du reste, comme nous l'avait enseigné la très belle expo qu'avait consacrée la Halle Saint-Pierre à cette maîtresse és-hallucinations où l'on avait pu voir de très belles et très rares huiles), le comte de Tromelin (venu de l'Art Brut celui-ci, et pas souvent exposé et sorti des réserves en l'occurrence de la Collection de l'Art Brut de Lausanne), un dessin de Fred Deux plus vivant que les autres (parce que Fred Deux, ça finit par me lasser toute cette maîtrise un peu trop léchée...), des dessins de James Castle (encore l'Art Brut, cette fois américain), des paysages dessinés par des mouches mais en fait dus à la plume de Raphaël Lonné, au loin des magnifiques arabesques touffues de Laure Pigeon (toujours l'Art Brut)...

 

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Laure Pigeon (A signaler à son sujet la sortie du 25e fascicule de la Collection de l'Art Brut qui lui est entièrement consacré, avec une étude de Lise Maurer)

 

 

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Josefa Tolrá

 

      Après ces cimaises fort alléchantes, on tombe sur, à mes yeux, LA révélation de l'expo. Une créatrice espagnole, ou plus précisément catalane je crois, Josefa Tolrá. Cette dernière, décédée en 1959, n'est pas encore très connue me semble-t-il dans le monde des amateurs d'art brut (dont elle est un des plus beaux fleurons sans conteste), en dépit du fait que la collection de l'Aracine (désormais installée au LaM de Villeneuve-d'Ascq dans le Nord) paraît en posséder au moins une œuvre (une "fantaisie taurine", dessinée recto-verso, comme on peut s'en convaincre en consultant la base Joconde) acquise à on ne sait quelle date (sur la base Joconde il est indiqué "1999", mais c'est la date d'entrée de la collection l'Aracine dans le musée du LaM, je pense). Ils étaient forts à l'Aracine, rien n'échappait à l'œil de Madeleine Lommel. Il paraît qu'ABCD de Bruno Decharme en possède aussi. Sans compter que sur internet on trouve bien entendu divers renseignements à son sujet. Il existe notamment un site à elle seule consacré et des films dont le diaporama amélioré que j'insère ci-dessous.

 

 

     A la Halle, plusieurs dessins sont accrochés, tous aussi éblouissants et séduisants les uns que les autres, et variés qui plus est.les cahiers dessinés l'exposition,halle saint-pierre,frédéric pajak La dame, qui avait le pouvoir de discerner les "auras" des personnes qui l'entouraient, à ce qui se colporte à son sujet, avait à l'évidence une assurance dans son dessin et la composition de ses œuvres qui se rencontre rarement. Cette œuvre en tout cas enfonce de loin, en terme d'émotion ingénue brute, tous les autres créateurs qu'on (la galerie Berst entre autres) cherche à nous faire passer pour bruts valables en ce moment (comme Eric Derkenne, Horst Ademeit, Košek, Medvedev, Katsuhiro, Giga, Anibal Brizuela, Harald Stoffers, et j'en passe...).

 

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Josefa Tolrá

 

     Non loin d'elle, autre surprise, les dessins et le portrait de Marcel Bascoulard, sur lequel je reviendrai probablement, car un très beau livre vient de lui être consacré par Patrick Martinat aux Cahiers Dessinés justement, à l'occasion de l'exposition. Ce marginal de Bourges qui eut une vie tragique s'habillait en femme, se faisait tirer le portrait à multiples reprises dans les tenues féminines qu'il se confectionnait, et dessinait des paysages de sa région avec une minutie incroyable. Pas un être vivant n'y apparaît, tandis que le but de l'opération paraît se concentrer sur le rendu du mystère des lieux, l'être brut du lieu qui est détectable chez une âme ultra sensible, la menant parfois jusqu'à une déstabilisation profonde.

 

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Li Wei Hsuan

 

     Dans un recoin, on découvre également la Taïwanaise Li Wei Hsuan qui paraît dessiner comme enfermée dans la bulle de sa surdité, un graphisme rageur et rythmé. Plus loin, on n'oubliera pas de mentionner quelques dessins de l'écrivain Bruno Schulz, dont les vertiges masochistes de son univers graphique sont bien connus de certains de nos lecteurs...

 

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Bruno Schulz

 

    De même Félix Vallotton et ses gravures très noires ne sont pas inconnues mais font plaisir à être revisitées en confrontation avec les autres œuvres. J'ai particulièrement remarqué la gravure ci-dessous où des enfants, qualifiés par antiphrase d'"anges", harcèlent de leurs quolibets (du moins on l'imagine) en se pressant autour de lui, comme pour un lynchage, un marginal qu'un pandore accompagne en prison.

 

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Félix Vallotton, "Petits anges"...

 

    A l'étage de l'expo, je dois avouer ne m'être arrêté que devant les œuvres de certains artistes COBRA qui résistent plus qu'honorablement au temps qui passe. On a en effet l'occasion de voir, chose pas courante à Paris, des logogrammes de Christian Dotremont, ces tracés à l'encre que ce poète exécutait automatiquement en même temps que lui venait un poème sous son pinceau japonisant. Il libérait ainsi sa graphie de la nécessité de créer un signe d'écriture conventionnelle pour la tendre vers l'idéogramme, et les signes d'écriture orientale ou extrême-orientale, où l'image reste très présente. Au bas des logogrammes, il notait dans une écriture intelligible traditionnelle le poème qui était tracé d'une gestualité libre au-dessus en pleine feuille.

 

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Logogramme de Christian Dotremont...

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... et sa transcription

 

    D'autres Cobra sont également présents comme Jean Raine ou Pierre Alechinsky.

 

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Deux dessins de Jean Raine

 

 

      A cet étage toujours, et enfin, je citerai pour mémoire ce qui s'apparente  à du dessin en relief, à savoir les silhouettes montées sur fil de fer de Corinne Véret-Collin.

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Corinne Véret-Collin

18/01/2015

Miguel Hernandez, retour sur un peintre entre art brut et anarchisme

     On a parlé sur ce blog il y a peu de Jean Galéani qui avait mis son art (naïf) au service de ses convictions politiques dans les années du début XXe siècle. Il y en a peu de ces cas de créateurs autodidactes qui auraient été en même temps des activistes révolutionnaires. Au début de la collection de l'art brut dans les années 40-50 de l'autre siècle, il y eut Miguel Hernandez (1893-1957), un peu oublié aujourd'hui, il me semble, dans les musées et collections qui possèdent de ses œuvres.

 

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Fascicule édité par les éditions René Drouin en 1948, texte de présentation de "MT" (Michel Tapié) ; coll. Bruno Montpied.

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4e de couverture de la plaquette Miguel H., 1948.

 

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Miguel Hernandez, Souvenir inca, 1947, anc. coll. André Breton, en ligne sur le site de l'Atelier André Breton.

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Un Miguel Hernandez à l'imagerie moins connue... Photo extraite du site de la galerie Ricco Maresca, New-York.

 

      Diverses circonstances m'ont récemment remis sur les traces de cet ancien militant anarchiste espagnol qui aurait commandé une troupe de 5000 hommes pendant la Guerre d'Espagne, du moins si l'on suit les renseignements biographiques émanant de diverses sources (Michel Tapié en 1948, dans un fascicule des tout débuts de la collection d'art brut de Dubuffet, à l'époque où elle était abritée au sous-sol de la galerie Drouin place Vendôme ; puis dans le premier fascicule de la Collection de l'Art Brut en 1964,  avec deux textes, dont un qui datait de 1948 de Dubuffet prévu au départ pour le fameux Almanach de l'Art Brut qui ne vit jamais le jour ; le texte de Dubuffet augmenté de trois paragraphes en 1964 donnait des renseignements biographiques assez fournis ; enfin il y eut aussi un fascicule fait avec les moyens du bord par l'Association l'Aracine à l'occasion de l'expo qu'elle organisa sur Hernandez en 86-87 à Neuilly-sur-Marne à partir de la collection d'un monsieur Noël Rovers d'Hont, dont à ma connaissance on n'a plus entendu parler par la suite...).

      Il semble que les chercheurs spécialisés dans l'anarchisme, notamment espagnol, n'aient retrouvé dans les archives que quelques traces partielles de l'activité militante d'Hernandez. En particulier, commander (il avait grade de "commandant", paraît-il) une troupe de 5000 hommes n'aurait pas dû passer inaperçue dans l'histoire de la guerre civile. Mais ce que l'on trouve sur internet,  par exemple sur le site du Dictionnaire des militants anarchistes, c'est seulement les responsabilités qu'il occupa dans des revues espagnoles. La notice qui lui est consacrée ne cite ses possibles activités de "milicien" qu'au conditionnel.

 

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Miguel Hernandez photographié par Doisneau en 1951 à Belleville ; ce cliché fut publié dans la plaquette de l'Aracine citée plus haut.

 

      Hernandez est au début de l'histoire de la collection d'art brut. Mais quelques zones floues restent autour de lui. Il vivait après la Seconde Guerre, nous dit-on, dans un petit appartement à Belleville, où il ne se consacrait qu'à la peinture après être passé par divers métiers et tribulations, en Amérique du Sud tout d'abord puis en Espagne où il conspira à Madrid contre Primo de Rivera, de retour d'un service militaire au Maroc dont il garda une détestation de l'armée et de ses soi-disant prestiges. Il collabora à une publication anarchiste à Lisbonne, ce qui lui valut une arrestation. Il publia aussi "des brochures de propagande contre la dictature et contre le communisme" (voir le site du Dictionnaire des militants anarchistes cité plus haut). On date le début de sa production de 1947, soit juste un an avant qu'il n'expose au Foyer de l'Art Brut de la galerie René Drouin (ce qui paraît fort rapide comme passage à la lumière). Les peintures reproduites dans le premier fascicule de l'Art Brut aux éditions Drouin montrent des œuvres de grande force et déjà bien assurées. Sont-elles donc nées, ainsi affirmées, dès les premiers coups de pinceaux? Dubuffet explique qu'Hernandez travailla avec acharnement dès le départ, consacrant tout son temps à la peinture, retouchant sans cesse ses peintures, les "gâtant" parfois par là même...

 

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Une des peintures d'Hernandez reproduites dans le fascicule édité par la galerie René Drouin en 1948 ; à gauche vraisemblablement la femme après laquelle soupirait Hernandez.

 

       Une figure féminine paraît dominer dans ces compositions, celle de sa femme perdue pendant la Guerre Civile et dont Hernandez rêva tout le reste de sa vie (Dubuffet dans son texte du fascicule n°1 de la Compagnie d'Art Brut précise, presque cruellement, à la fin de son dernier paragraphe "qu'un messager chargé par lui de rechercher son adresse à Madrid n'eut pas le courage de l'informer qu'elle vivait en paix depuis fort longtemps avec un autre compagnon et qu'elle ne se souciait plus de lui" ; il décrit l'obsession d'Hernandez pour cette femme perdue de vue comme "insensée").

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Cette photo-ci était également reproduite dans le fascicule des éditions René Drouin.

 

     On  ne sait pas très bien dans l'histoire de la collection d'art brut, à ma connaissance, qui est tombé le premier sur Hernandez, et son groupe d'amis espagnols, dont certains étaient peintres autodidactes comme lui, tel José Garcia Tella (1906-1983), dont l'œuvre, pourtant, paraît-il, présentée au Foyer de l'Art Brut - à l'époque des balbutiements de la collection de Dubuffet en 1948 -, et défendue par le critique d'art et collectionneur Henri-Pierre Roché, ne connut pas le même succès dans le monde de l'art brut que celle d'Hernandez (à noter qu'il existe un site web qui a été consacré par son neveu et filleul, Charles Tella, à l'œuvre et à la biographie de son oncle ; Garcia Tella était lui aussi anarchiste).

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José Garcia Tella, Massacre, 100x81 cm, 1951, anc. coll. Henri-Pierre Roché

 

     Cela se situe peut-être entre Michel Tapié – premier à écrire sur Hernandez (sous les initiales de "MT" dans le fascicule de 1948 qui fut édité dans le cadre des activités du foyer d'art brut au sous-sol de la galerie René Drouin (place Vendôme), sous le titre Miguel H. (Hernandez), et avant que Dubuffet ne lui consacre à son tour une plaquette en 1949 lors d'une autre expo dans le second local prêté par les éditions Gallimard rue de l'Université à Paris –, cela se situe donc entre Michel Tapié et Robert Giraud qui servait de secrétaire à Dubuffet dans ces années pionnières (Aline Gagnaire aussi fut secrétaire dans ces années-là, peut-être responsable, pour sa part, de la découverte de l'aubergiste Henri Salingardes). On sait qu'il y eut en 48 une période où Dubuffet, ayant décidé de séjourner en Afrique du Nord durant six mois, laissa les rênes de sa jeune collection à Michel Tapié. Celui-ci concevait les expositions comme une activité pouvant s'accommoder de ventes d'œuvres. Et il semble que ses critères de sélection aient été bien plus éclectiques que ceux de Dubuffet, qui le lui reprocha à son retour, se brouillant avec lui et décidant de se passer de ses services (mais pas de ceux de Robert Giraud qui se maintint secrétaire au moins jusqu'en 1951, date à laquelle furent faites des photos de Miguel Hernandez par le grand complice de Giraud, Robert Doisneau ; par la suite les choses se gâtèrent entre Giraud et Dubuffet, le premier finissant par surnommer le second "le cave"...).

 

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Robert Giraud, ph Georges Dudognon, extrait du blog Le Copain de Doisneau.

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Autre fascicule édité par René Drouin en 48 consacré ici à Pierre Giraud, frère de Robert ; dessinateur parfois présenté comme "naïf", il fut exposé dans les débuts de la collection d'art brut, puis largement oublié par la suite ; coll. BM

 

     C'est probablement pendant cette période où Michel Tapié régnait en maître sur la collection que se produisit la rencontre avec Miguel Hernandez. On peut imaginer que c'est par Giraud – grand connaisseur des milieux populaires de la capitale (il fut une sorte de spécialiste du "fantastique social" comme disait Mac Orlan, expert en argot, en clochards, et autres figures insolites de la rue ; par ailleurs auteur de plusieurs livres dont le célèbre Vin des rues qui donna son titre à un bistrot connu sur la Rive Gauche) – que les animateurs du foyer d'art brut de la galerie Drouin firent la connaissance de l'œuvre d'Hernandez.  

     Il semble qu'en 1948, plusieurs passionnés des créateurs de l'ombre allèrent visiter le peintre espagnol dans son petit logement. La vente d'une grande partie de la collection d'André Breton à Drouot en 2003 a fait resurgir ainsi un portrait du poète surréaliste exécuté par Hernandez (en 1952, voir ci-contre), ce qui suppose peut-être qu'il y eut rencontre entre eux.miguel hernandez,josé garcia tella, anarchisme espagnol,guerre d'espagne,art brut,art immédiat,michel tapié,jean dubuffet,andré breton,atelier andré breton, robert giraud, aline gagnaire, l'aracine, galerie rené drouin, Epistolairement parlant, on sait qu'elle eut lieu en tout cas puisque le site web de l'Atelier André Breton a mis en ligne une lettre avec un poème autographe de Miguel Hernandez, ainsi du reste que trois peintures dont le fameux portrait, et une, le Rêve de la Vierge (titre apposé au dos du tableau de la main de Breton, précise le site web) datant de 1947. Breton, à l'époque, était complice avec Dubuffet, on n'en était pas encore à la rupture qui intervint trois ans plus tard en 1951.

     Qui aurait l'audace de réunir tout ce qui est disponible en matière d'œuvres de Miguel Hernandez ?

 

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Enveloppe d'une lettre de Miguel Hernandez à "Andres Breton" en 1949; elle contenait un poème manuscrit de Miguel Hernandez ; extrait du site de l'Atelier André Breton.

  

01/12/2014

Marie Audin revient au musée de la Création Franche

     Du 5 décembre 2014 au 1er février 2015, on pourra aller découvrir les petites œuvres faites selon la technique du pricking, mise au point par la créatrice, Marie Audin (-ex Marie Adda), au musée de Bègles. Une centaine d'œuvres sont accrochées, en même temps que se tient une seconde exposition parallèle d'Albert Louden (gros bonshommes en apesanteur...), sujet britannique, comme une moitié de Marie Audin, dont la mère était anglaise. J'ai déjà présenté cette créatrice, complète autodidacte, dont le métier est dermatologue, ce qui a un rapport étroit avec ses réalisations (qui a dit que les éléments biographiques n'avaient aucune importance pour comprendre une œuvre artistique?). C'était dans Création Franche n°33, en 2010 ("Marie Adda: sous la peau des images"), suite à ma découverte de ses œuvres exposées déjà à Bègles (c'est ce musée qui l'a révélée en 2009 ; de même que c'est sa visite qui quelques temps auparavant avait révélé à Marie les différentes formes d'expression affranchies de l'art académique qu'il contient, réveillant en elle le désir de reprendre des velléités créatrices qui s'étaient alors rendormies).

 

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Marie Audin, un de ses prickings, avec inscriptions, "Help", "Hope and glory", "Don't give up the fight!", ph. Bruno Montpied, 2014

 

      Marie joue avec des supports qu'elle chipe la plupart du temps dans les restes de matériaux qu'elle manipule à son travail, elle les piquète (d'où le mot anglais de "pricking") à l'aide d'aiguilles et de seringues. Dessous-dessus, et dessus-dessous. Cela ne donne pas les mêmes trous. Parties depuis le dessus, les perforations ont des bords légèrement boursouflés qui les apparentent aux pores de la peau, ou à une chair de poule. L'aiguille ayant traversé depuis le dessous, les trous s'apparentent à de simples points (J'ai rappelé dans mon article de 2010 que Marie avait gardé un brillant souvenir d'avoir admiré des tableaux de Seurat et Signac... Des pointillistes comme de juste!).

 

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Marie Audin, sans titre, deux personnages affrontés, pricking et broderie, aquarelle, ph BM, 2014

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Marie Audin, sans titre, composition aquarellée, brodée et pricking, ph BM, 2014

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Marie Audin, sans titre, composition abstraite, par pricking, ph BM, 2014

 

     Ses compositions sont tantôt abstraites, ressemblant parfois à des géographies, des photos aériennes de campagnes agricoles, Marie aimant à se perdre dans des jardins austèrement ratissés à la Ryoân-Ji , tantôt elles sont figuratives, campant des grosses têtes sommaires sans détail superflu, ou bien tantôt encore ses œuvres combinent un peu les deux séries, ce que personnellement je préfère chez elle. Ce sont du reste ces dernières œuvres qui pourraient la faire ranger dans l'art brut, en raison de leur tension inventive, tandis que les autres, les grosses têtes, la feraient plutôt ranger du côté des Singuliers, autodidactes sans formation artistique créant des figurations sans volume, dans un graphisme proche de l'art enfantin ou du moins d'une certaine stylisation, mais non dénuées de références à la culture artistique (à commencer par d'autres singuliers, comme Chaissac, Sanfourche, Macréau, Basquiat, Chomo...). Avec ses "grosses têtes", elle entretient un cousinage inconscient avec un Pierre Albasser, lui aussi révélé au musée de la Création Franche du reste. L'œuvre piquetée, sur un fond préalablement aquarellé, elle ajoute parfois aussi du fil et rajoute de la broderie dans ses compositions (les plus complexes). Et puis elle passe beaucoup de temps à les cadrer grâce aux passe-partout qui jouent un rôle primordial dans ses œuvres.

 

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Marie Audin dans ses efforts de cadrage, ph. BM, 2014

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Marie Audin, sans titre, deux figures en broderie et pricking, ph BM, 2010

     C'est donc à une seconde peau que s'en prend Marie Audin, avec ses aiguilles, et le vocabulaire dermique peut facilement venir à l'aide en ce qui la concerne. C'est une curieuse acupuncture en effet à laquelle elle se livre, sur le corps symbolique de l'image, et parfois aussi de curieuses sutures avec sa broderie. A qui prodigue-t-elle en premier ce qui s'apparente à des soins avec ses seringues et ses aiguilles? Quelles plaies recoud-elle? S'agit-il des spectateurs, ou d'elle-même? Probablement des deux.

 

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La boule aux aiguilles variées, qui sont les outils de la créatrice ; à noter aussi dessous le set de table avec ses sillons concentriques qui ressemblent à certaines des compositions de Marie Audin, ph BM, 2014

 

23/10/2014

Art brut, soluble dans l'art contemporain? Ou art contemporain dissout dans la vie quotidienne?

     La rumeur enfle, toute une série d'intervenants, de ténors s'étant taillés des robes d'avocats de l'art brut, se sont donnés le mot, on dirait, pour prêcher la future fusion de l'art brut avec l'art contemporain. Ce dernier recouvre toutes sortes de formes d'expression, mais cela importe peu à nos ténors. Qu'on y distingue encore des avant-gardistes, comme ce fut le cas par le passé, ce qui pourrait permettre effectivement de le mettre sur le même plan côté novation avec les inventifs de l'art brut (parallèle qui est évoqué de façon un peu confuse selon moi par Céline Delavaux dans un de ses récents ouvrages, Comment parler d'art brut aux enfants, éd. Le Baron Perché, 2014,¹), qu'on y trouve encore des avant-gardistes, comme au temps où les surréalistes attiraient l'attention du public sur l'art produit en asile, les inspirés du bord des routes, les autodidactes dits naïfs ou l'art populaire merveilleux, cela n'interpelle pas les mêmes spécialistes. Non, en face de l'art brut, il n'y a que "l'art contemporain" tout uniment.

      Et il ne faut surtout pas que l'on sorte du champ de l'Art. Pour nos spécialistes, l'art est en train de s'étendre en effet. L'art "contemporain" serait comme une immense tache d'huile qui s'annexerait des nouveaux territoires. Dont l'art brut, mais aussi les créations des bâtisseurs spontanés de bord de routes.

 

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      En ce qui me concerne, je vois les choses d'un point de vue inverse, je ne m'intéresse nullement à une "extension du champ de l'art" qui annexerait des formes d'expression non répertoriées dans l'Histoire de l'Art, je ne m'intéresse absolument pas à ce que l'on a appelé d'un néologisme barbare, "l'artification"². Non, moi, je préfère envisager la chose plutôt comme une annexion de l'art par la vie quotidienne, et s'il faut répondre à un néologisme par un autre néologisme, je parlerai alors d'une "quotidiennisation" de l'art, ce que j'appelle aussi sur ce blog une poétique de l'immédiat. Comme une dissolution de l'art dans la vie quotidienne, ce qu'annoncent les créateurs (et non les "artistes") de l'art brut et autres inspirés bricoleurs des décors de leur vie quotidienne.

     Comme on le voit c'est d'une toute autre perspective qu'il s'agit. Mais bien sûr, il ne s'agit plus dans ce cas d'une histoire de gros sous... Je dis ça, car j'entends dire ici et là que derrière cette histoire de fusion art brut/art contemporain, il serait surtout question d'une stratégie de hausse des prix de l'art brut (l'art contemporain met en jeu des cotes plus substantielles...). Certain marchand, et certain collectionneur, y auraient intérêt pour faire valoir les articles en magasin, d'où toute l'agitation et tout le branle-bas de combat actuels autour de l'art brut... Ce serait vraiment pas joli-joli, si cela se révélait exact. 

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¹ "L'art contemporain, comme l'art brut, implique la nouveauté, l'exploration d'un inédit qui force la réflexion. En ce sens, lui aussi appelle le regard à s'ouvrir et le discours à se renouveler. Comme l'art brut, l'art contemporain présente un éclectisme total, une mosaïque de propositions singulières." (Céline Delavaux). On est là semble-t-il bien loin du Dubuffet, pourtant le fondateur de la notion d'art brut, qui vouait aux gémonies l'ensemble de "l'art culturel"...

² Voir sous la direction de Nathalie Heinich et Roberta Shapiro, De l'artification, Enquêtes sur le passage à l'art, éditions de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences, 2012.

15/08/2014

Disparition de Caroline Bourbonnais, et hommage à la Fabuloserie

     Caroline Bourbonnais est décédée dimanche dernier. Décidément, après Madeleine Lommel, Monika Kinley (décédée au début de cette année à 88 ans), Charlotte Zander (elle aussi disparue cette année), une page se tourne avec ces femmes d'une incroyable pugnacité qui bâtirent des collections d'art hors les sentiers battus des années 70 aux années 2000. Caroline Bourbonnais, devenue la vestale de la Fabuloserie après le décès de son mari architecte et artiste Alain Bourbonnais en 1988, tenait d'une main de fer dans un gant de velours la collection d'Art-Hors-les-Normes qui est installée à Dicy dans l'Yonne, et divisée en deux parties particulièrement révélatrices dans leur spatialité des conceptions du couple Bourbonnais. Elle paraissait éternelle, personnellement je ne me souciais aucunement de chercher à connaître son âge, tant son rôle de gardienne intemporelle des lieux lui composait un masque d'intangibilité. Je n'ai découvert son âge (90 ans) qu'en apprenant sa mort, cette dernière inéluctablement associée au temps qui nous emporte tous.

 

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Parc de la Fabuloserie consacré aux environnements spontanés, avec des statues de Camille Vidal et des médaillons en mosaïque de François Portrat sur le mur de présentation rouge conçu par Alain Bourbonnais, ph. Bruno Montpied, 2011

 

     A la Fabuloserie, ouverte en 1983, il y a le bâtiment, qui se ramifie par des surgeons greffés ou ouverts ces dernières années, conçu comme un labyrinthe et qui abrite des œuvres peintes, brodées, tissées, collées, sculptées, etc., et il y a le parc, consacré à une sorte de musée des environnements spontanés d'habitants-paysagistes quasi unique en France, voire en Europe. Ce parc a reçu en effet au fil du temps des fragments d'environnements sauvés de la destruction et du vandalisme, ce qui est le lot quasi fatal de ces formes de créations de non-artistes, fragments entretenus, restaurés, par des équipes formées par les Bourbonnais, des passionnés qui entrent en empathie avec les œuvres qu'ils choisissent de prolonger en les réparant et en les remontant, qu'on songe au magnifique sauvetage du "manège" de Petit-Pierre par exemple.

 

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Le manège de Petit-Pierre, ph. BM, 2011

 

       La Fabuloserie fut créée dans le prolongement de l'activité de l'Atelier Jacob qui s'était constitué dans le VIe arrondissement parisien dès le début des années 70, Alain Bourbonnais collectionnant depuis les années 60, activité qui lui servait de jardin secret à côté de son activité professionnellecaroline bourbonnais,alain bourbonnais,fabuloserie,art brut,art-hors-les-normes,dicy,aloïse,jean rosset,fernand michel,les singuliers de l'art,environnements spontanés,petit-pierre,église stella matutina (il fut l'architecte, à ce que j'ai entendu dire, entre autres de l'aménagement intérieur de la station RER Nation, et de l'église Stella Matutina à Saint-Cloud -église où entre parenthèses le signataire de ces lignes, bien avant de connaître l'art brut, à douze ans, fit sa communion... avant d'abjurer toute croyance en Dieu, le jour même de la cérémonie !). Bourbonnais avait décidé de continuer en France la prospection d'art brut, d'autant qu'il regrettait le départ de la collection de Dubuffet vers la Suisse en 1971.

 

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A l'intérieur de la Fabuloserie, des enseignes de coiffeur africaines, un Fernand Michel semble-t-il, des sculptures de René Guivarch, de Jean Rosset, un bateau de Ratier, photo extraite du site web de la Fabuloserie

 

           Cela dit, est-ce tout à fait le même "art brut" que l'on trouve à Dicy et à Lausanne? S'il y a des Aloïse à la Fabuloserie, et des Ratier, on y trouve aussi, mêlés sans distingo, beaucoup d’œuvres d'artistes singuliers, comme Nedjar, Francis Marshall, François Monchâtre, Verbena et autres Moiziard ou Lortet et Chichorro. Les deux Bourbonnais recherchaient semble-t-il avant tout l'étonnement et l'émerveillement générés par les œuvres qu'ils rencontraient au gré de leur quête, qu'ils proviennent du contact de créateurs autodidactes, bruts, populaires ou naïfs, ou d'artistes marginaux. L'exigence de leur regard esthétique aidait à fondre ces créations, hétéroclites au départ, dans un creuset unitaire. La Collection d'Art Brut de Dubuffet était plus intransigeante, cherchant avant tout chez le créateur recherché l'écart vis-à-vis de toutes références culturelles artistiques. Les créations plus mêlées au cirque artistique ambiant étaient rejetées dans une collection dite "annexe" qui fut rebaptisée par la suite la collection Neuve Invention.

 

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Caroline Bourbonnais faisant visiter le manège de Petit-Pierre à la Fabuloserie, photo A.Gacon, sur le site lYonne.fr

 

     Caroline Bourbonnais aura grandement fait grandir la collection qu'elle avait commencée avec son mari, tout en préservant l'unité architecturale labyrinthique voulue par Alain Bourbonnais. Depuis plus de trente ans, c'est grâce à elle que l'on continue d'avoir au cœur de l'Yonne ce double cabinet des merveilles, conjuguant intériorités et extériorités poétiques d'autodidactes divers. Ses filles Agnès et Sophie la secondaient depuis quelques années, reprenant progressivement le flambeau. Il semble donc que dans l'avenir immédiat il n'y ait pas de souci à se faire pour la poursuite de l'aventure "fabulose"... Mais Caroline Bourbonnais, elle non plus, nous ne l'oublierons pas.

23/06/2014

"Sous le vent de l'art brut 2", sous le vent, oui, mais pas forcément pour autant tous "bruts"

     La Halle Saint-Pierre a confié sa communication à une agence (Pierre Laporte Communication) pour sa prochaine grande exposition prévue à la rentrée de septembre (à partir du 17 septembre exactement, et devant durer jusqu'au 17 janvier 2015). On commence à recevoir dans les boîtes e-mail un laïus à ce sujet, ce qui est peut-être un peu tôt, mais c'est sans doute pour prévenir le grand "oublioir" de la période estivale qui s'annonce à grands pas....

 

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      Ce sera pour moi l'occasion de revenir étrenner les cimaises de la Halle, dans ses deux grands espaces pour expositions principales du rez-de-chaussée (la zone noire) et du premier étage, où, présenté par deux petites toiles à ce dernier niveau du reste, je n'étais pas revenu depuis l'expo "Art Brut et cie" de 1995-1996 (où j'étais exposé dans la section consacrée à la Création Franche). Cette fois, on m'exposera une douzaine de peintures et dessins, dans le cadre de cette manifestation destinée à faire mieux connaître la collection néerlandaise "De Stadshof", autrefois présentée à Zwolle en Hollande et dorénavant hébergée depuis 2002) au Muséum du Dr. Guislain à Gand, animée aujourd'hui par Liesbeth Reith et Frans Smolders (après l'avoir été initialement par Ans Van Berkum, nom qui a été "curieusement" oublié dans la présentation de l'agence de com').

 

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Bertus Konkers, maquette sculptée de l'ancien bâtiment qui hébergeait la collection "De Stadshof" à Zwolle aux Pays-Bas donc initialement

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Bruno Montpied, Les fumeurs de pipe, collage, acrylique et stylo sur papier et bois, env. 60x80 cm, 1990 ; ce tableau n'est pas reproduit sur le site internet de la collection De Stadshof mais fait bien partie de la donation que je leur ai consentie dans les années 90 (il ne sera pas exposé à la Halle St-Pierre)

 

    Un site internet, plutôt bien fait, permet de se promener parmi les œuvres des créateurs faisant partie de cette collection. Dont mézigue, qui ai fait une donation de quatre œuvres plutôt anciennes à la collection hollandaise du Stadshof. Tellement anciennes que la directrice de la Halle, Martine Lusardy m'a gentiment proposé d'opérer en quelque sorte une mise à jour de mes travaux apparus bien après cette donation (effectuée dans les années 1990). Dont acte, et ce dont je la remercie publiquement ici.

 

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Bruno Montpied, Bande-toi les yeux pour mieux voir, 24x18cm, encre et mine de plomb sur papier, 2013 (fait partie de la sélection pour "Sous le vent de l'art brut 2")

 

     Cependant, il me faut aussi apporter quelques précisions à propos de la communication actuellement transmise par newsletter par l'agence ci-dessus citée. La collection "De Stadshof" se proclamait autrefois collection "d'art naïf et outsider", ce dernier qualificatif ayant fait place plus récemment sur son site à "art brut". Même si "art outsider", à ce qui se répète souvent, serait l'équivalent dans le monde anglo-saxon du terme "art brut", il faut rappeler que pour les Anglo-saxons (que les Hollandais en l'occurrence imitaient) le mot sert surtout à mixer toutes sortes de corpus et de formes d'expression relevant de différentes catégories, comme l'art naïf, l'art populaire, l'art brut, les environnements populaires spontanés, et les artistes marginaux que l'on aurait plutôt tendance par nos contrées à qualifier "d'artistes singuliers" (terme que je ne dédaigne pas d'employer pour présenter mon propre travail graphique, même s'il me paraît passablement galvaudé par les temps qui courent). Le but principal étant de mettre en lumière une création plastique hors circuit officiel. L'agence Pierre Laporte Communication dans son laïus transmis actuellement par e-mail, dans une envolée généralisatrice, extrêmement discutable de mon point de vue à la fois de créateur et de critique, écrit ceci: « Martine Lusardy, directrice de la Halle de Saint Pierre avec Liesbeth Reith et Frans Smolders, conservateurs de la collection De Stadshof, ont sélectionné 350 oeuvres de 40 artistes emblématiques : peintures, sculptures, dessins, installations, broderies, signées par des figures incontournables de l’art brut (c'est moi qui souligne). »

     Eh bien, JE NE SUIS PAS une "figure incontournable de l'art brut" en ce qui me concerne. Incontournable, en termes d'embonpoint, je ne dis pas, mais en tout cas en ce qui concerne l'art brut, il y aurait malhonnêteté à me présenter ainsi. Et parmi les "40 artistes [toujours ce terme confusionniste] emblématiques", il doit bien y avoir d'autres personnes également peu concernées par ce label que l'on applique décidément trop à la louche par les temps qui courent: par exemple Marie-Rose Lortet, Christine Sefolosha, Philippe Azema, François Burland, Sylvia Katuszewski, Adam Nidzgorski, pour ne citer que ceux dont je connais (et respecte) le travail qui sera donc présent à la Halle Saint-Pierre à l'automne. Ces derniers noms recouvrent plutôt des artistes marginaux, effectivement situables dans une sorte d'orbite autour de l'art brut (orbite passant aussi sans doute autour d'autres corpus comme le surréalisme, le mouvement Cobra, and so on...). Je ne connais pas bien tous les créateurs hollandais présents dans la sélection, mais il y a fort à parier que plusieurs d'entre eux ont aussi à voir avec l'art naïf plutôt qu'avec l'art brut. Mais comme l'épithète "naïf" ne fait plus vendre, n'est-ce pas, on préfère "brut"... Donc, "Pierre Laporte Communication", si vous voulez être pris au sérieux, encore un effort, cernez davantage le champ proposé cet automne à la Halle Saint-Pierre.

 

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Bruno Montpied, Barbu bestial, encre et marqueurs divers sur papier, 21x29,7 cm, 2013 (Œuvre exposée à la Halle Saint-Pierre dans "Sous le Vent de l'Art Brut 2")

    Et pour être complet voici la sélection des artistes et créateurs retenus pour cette exposition d'automne à la Halle St-Pierre (cela fera 350 œuvres exposées):

ACM (France), Yassir AMAZINE  (Etterbeek, Belgique), Anonyme, Philippe AZEMA (France), Okko BOSKER (Pays-Bas), Herman BOSSERT (Pays-Bas), Bonifaci BROS (Espagne), François BURLAND (Suisse), Aaltje DAMMER (Pays-Bas), Siebe Wiemer GLASTRA (Pays-Bas), Martha GRUNENWALDT (Belgique), Lies HUTTING (Pays-Bas), Bertus JONKERS (Pays-Bas), Sylvia KATUSZEWSKI (France), Truus KARDOL (Pays-Bas), Jan KERVEZEE (Indonesia), Saï KIJIMA (Japan), Rosemarie KOCZY (USA), Davood KOOCHAKI (Iran), Marc LAMY (France), Hans LANGNER (Allemagne), Pavel LEONOV (Russie), Marie-Rose LORTET (France), Bonaria MANCA (Italie), Markus MEURER (Allemagne), Bruno MONTPIED (France), Michel NEDJAR (France), Adam NIDZGORSKI (France), Donald PASS (Royaume-Uni), Hans SCHOLZE (Pays-Bas), Christine SEFOLOSHA (Suisse), Joseph SELHORST (Pays-Bas), Paula SLUITER (Pays-Bas), William VAN GENK (Pays-Bas), Henk VEENVLIET  (Pays-Bas), Roy WENZEL (Pays-Bas), Johnson WEREE (Liberia), Karin ZALIN (U.S.A), Anna ZEMANKOVA (République Tchéque).

31/05/2014

Veste à carreaux, drôle de chapeau, et portant sabots...

     De retour l'autre jour de la projection des films sur Vanabelle, où il n'y avait pas grand-monde venu s'inquiéter du devenir de la Base de la Menegatte, je suis tombé sur une brocante à cinquante mètres de chez moi. En général, dans ce genre de vide-greniers parisien, il n'y a vraiment que peu de chances de trouver quoi que ce soit dans les domaines qui m'intéressent, mais cette fois-ci, on m'avait prévenu qu'un personnage curieux m'y attendait peut-être.

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Collier de barbe, sabots, costume à carreaux, une petite cravate à trois brins et une drôle de tourte juchée sur le crâne, H. 67 cm, coll. BM

     D'où cela peut-il sortir? Le visage a une vague ressemblance avec ceux que sculptait autrefois Lui Buffo en Haute-Garonne. Il n'y a aucune inscription dessus. Le broc qui le vendait, comme d'habitude, n'avait recueilli aucune information à son sujet. Cela provenait, me dit son frère, d'un endroit perdu en France... Avec ça, on se débrouille...

    Il me semble que le chapeau très particulier, et plus généralement les détails vestimentaires, le costume, l'espèce de cravate, si c'en est une, les sabots, pourraient être des indices permettant au moins de situer l'origine géographique du bonhomme. Les fils de la "cravate" me font penser aux manadiers de Camargue, voire à des hidalgos d'Espagne... Mais peut-être erré-je...

01/05/2014

Joseph Baqué de Bruxelles à Lausanne, des monstres en visite

    Une exposition intitulée "Démons et merveilles" se tient actuellement à Bruxelles dans les locaux d'Art et Marges, jusqu'au 1er juin prochain, avec comme principal invité (du moins à mes yeux) Joseph Baqué (1895-1967), cet ancien gardien de la paix barcelonais dont j'ai déjà parlé dans cette colonne (il y a eu une vente il y a un an de l'ensemble de ses dessins, vente qui fut à 95% conclue avec un seul collectionneur, ce qui fait que l'ensemble de l'œuvre est conservée au même endroit ; c'est d'ailleurs elle qui sert de base à l'expo d'Art et Marges), cet ancien gardien de la paix (si on prend ces mots au pied de la lettre, cette garde prend un autre sens plus poétique) qui des années 30 aux années 60 a créé une étourdissante série de 1500 "Animaux, phénomènes rares, bêtes jamais vues, monstres et hommes primitifs", déclinée en 454 planches numérotées.art et marges,démons et merveilles,bruxelles,art brut,joseph baqué,collection de l'art brut,monstres,gardien de la paix,barcelone Il recourut à l'aquarelle, à la mine de plomb, avec des rehauts d'or et d'argent par endroits.

 

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Extrait 111 des "animaux et fauves" de Joseph Baqué, édité en carte postale par Art et marges musée, 2014

 

      Les dessins obtenus par lui sont d'un charme fou, les "monstres" inventés faisant quelque peu songer par leur aspect grotesque, d'où se dégagent un humour et une malice évidents, aux dessins infiniment plus anciens des "songes drolatiques de Pantagruel", dessins probablement dus à François Desprez en 1565 et longtemps attribués à Rabelais. Il est possible que Joseph Baqué ait croisé du regard des ornementations grotesques dans sa jeunesse lorsqu'un oncle le fournissait en magazines consacrés à l'art décoratif.

 

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 "Monstres" de Joseph Baqué, section des "hommes primitifs", édités en cartes postales par Art et Marges, 2014

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Un des personnages des Songes drolatiques de Pantagruel, gravure de 1565

 

        Plusieurs dessins, faisant partie vraisemblablement d'un lot extérieur aux 1500 "monstres" numérotés vendus l'année dernière, figurent dans les collections de l'Art brut à Lausanne, ce qui explique que l'expo actuelle de Bruxelles, qui confronte Baqué à d'autres créateurs handicapés familiers des cimaises d'Art et Marges (ils aiment faire ce genre de méli-mélo là-bas), continuera à Lausanne, au Château de Beaulieu, mais cette fois je pense, Baqué y sera seul représenté, ce qui est plus adapté car il est bon de souligner la nouveauté de la révélation d'une telle œuvre en n'exposant qu'elle. Ce sera du 6 juillet au 20 octobre prochain.

 

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"Animaux et fauves" ?

 

08/03/2014

Disparition de Jean-François Maurice, fondateur et animateur de "Gazogène"

     J'ai appris le décès de Jean-François Maurice, l'animateur et fondateur de la revue Gazogène, et par ailleurs chercheur d'art populaire sous toutes ses coutures. Il est mort jeudi 6 mars, emporté par le sale crabe qui n'a pas de pinces d'or.

     Je n'avais plus de relations avec lui depuis 2002. Mais, je m'en souviens encore, nous avions auparavant collaboré (je lui avais donné quelques articles pour son Gazogène primitif, certains que nous avons co-édités, à l'égide de Gazogène et de l'Art Immédiat : un "Tour de France de quelques bricoles en plein air" et une "Promenade dans l'Art Populaire du Rouergue") et souvent échangé, entre 1988, année où il m'avait écrit suite à mes articles dans Artension, et donc 2002. Je me rappelle entre autres lui avoir fourni sur sa demande un exemplaire du célèbre bouquin de Verroust et Lacarrière, Les Inspirés du bord des routes, célèbre s'entend uniquement dans le micro-milieu des mordus de l'art brut et consorts. Nous nous intéressions tous deux fortement au sujet.

 

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Jean-François Maurice dans la merveilleuse machine à découvrir de l'art brut de l'Eco-musée de Cuzals, dans le Lot, photo Bruno Montpied (je crois bien inédite), 1991

 

 

    Malgré mes divergences de goût et d'accord avec lui (il était dubuffetolâtre alors que je me prosternais devant André Breton), je dois avant tout reconnaître et saluer, alors que ses traces pourraient risquer de s'évanouir –on oublie si vite les médiateurs– sa passion qui resta entière des années durant pour les créateurs de l'ombre, les vagabonds sans culture au pays de l'inspiration. Il a apporté sa pierre à l'édifice mémoriel où l'on conservera encore longtemps j'espère le souvenir de la poésie des sans-grade (car cette poésie est faite pour annoncer le triomphe de la créativité de tous dans nos sociétés, ne l'oublions pas, c'était le rêve auquel Jean-François Maurice, tout comme moi, nous croyions).

    S'il consacrait trop de temps à mon goût à divers plasticiens d'arrière-province, suiveurs sans grande originalité de la région du Lot, il restait fidèle à l'art populaire, à l'art brut et surtout aux environnements spontanés à la recherche desquels nous partîmes une fois en dérive de Limoges à l'Yonne dans l'espoir de voir si on pourrait en trouver par hasard (le butin fut maigre, et il profita plutôt du voyage pour m'emmener avec lui chez Jean-Joseph Sanfourche et  André Escard, l'ancien colonial reconverti en chasseur d'inspirés, personnages qui m'intéressaient personnellement beaucoup moins –tous sont décédés à présent, et moi-même comme dirait l'autre je ne me sens du coup plus très bien...).

 

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De gauche à droite, BM, Jean-Joseph Sanfourche et Jean-François Maurice, lors d'une visite à St-Léonard-de-Noblat, 1991, ph. (inédite là aussi), BM

 

 

     Je pense que son principal mérite avec Gazogène fut en vérité lorsqu'il l'axa en direction des collections de cartes postales anciennes, notamment celle de Jean-Michel Chesné, montrant des environnements peu connus du passé. Cette idée, je l'avais appliquée en illustrations de certains de mes articles sur des sites du passé (la Villa des Fleurs à Montbard, le Père Eternel à Trégastel par exemple).

     Les numéros spéciaux de Gazogène parus au cours de ces dernières années comptent certainement parmi les plus fertiles en découvertes de ce point de vue.

 

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      Cependant, que ses proches me pardonnent une dernière remarque : j'apprends qu'une "cérémonie religieuse" sera observée en l'église de son village de Belaye. Or, Jean-François Maurice ne se proclamait-il pas libertaire? Qu'est-ce que cette cérémonie vient faire là dans ce cas?

15/01/2014

Arthur Vanabelle lui aussi a été placé en maison de retraite...

     Et voici que j'apprends aussi, après les disparitions d'Horace Diaz et d'André Hardy l'année dernière, qu'Arthur Vanabelle, que l'on voit dans le film Bricoleurs de paradis en train de rigoler en dépit de problèmes de santé liés à son âge (son frère César, même âge qu'Arthur à peu de choses prés, était présent hors champ durant l'interview, lui aussi passablement douloureux), a été transféré dans une maison de retraite, probablement par aggravation de son état de santé. Du coup, certains se mettent à pétitionner, redoutant de voir disparaître à brève échéance cette "Base de la Menegatte" (son véritable nom plutôt que "la ferme aux avions"), proche de Steenwerck dans le Nord. Ils réclament des "valorisations" par le département, la région... Moi, excusez-moi, mais ça ne me sourit guère, quand je vois ce qu'on est en train de faire comme "valorisation" autour du Palais Idéal du Facteur Cheval, en train de devenir le Mont-St-Michel de l'art brut, je me dis qu'il vaut mieux à tout prendre que les choses en restent là, qu'on les abandonne à leur poésie éphémère... Peut-être faut-il aussi rappeler que le LaM de Villeneuve-d'Ascq à côté de Lille paraissait soucieux de garder la mémoire du lieu, puisqu'il semble que des personnes commanditées par ce musée (qui possède comme on sait une grande collection d'art brut, avec un sous-ensemble consacré aux "habitats poétiques" populaires) étaient venues il y a quelques années (avant notre tournage des Bricoleurs de paradis) effectuer des relevés et des plans du site.

 

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Site créé par Arthur Vanabelle avec girouettes-avions, tank, canons anti-aériens, portraits de soldats, etc., photo Bruno Montpied, d'après une diapositive, 1988 (avec José Guirao planté entre deux canons)

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Arthur Vanabelle, de rares dessins de lui en arrière-plan, pendant le tournage de Bricoleurs de Paradis, ph. BM, 2010


09/12/2013

La Fabuloserie a trente ans, exposition au musée Singer Polignac

     Pour les trente ans de la Fabuloserie, Déborah Couette, une des trois commissaires de l'exposition "Un Autre Regard, l'Art-Hors-les-Normes d'Alain Bourbonnais dans les murs de la collection Sainte-Anne" qui durera du 13 décembre 2013 au 16 février 2014, Déborah Couette, ainsi qu'Antoine Gentil, m'avaient récemment confié qu'on allait sortir des réserves de la fabuleuse collection de Dicy (c'est dans l'Yonne, pas loin de Joigny) un certain nombre de trésors cachés et donc peu connus. On allait voir ce qu'on allait voir... Voici en définitive la liste des créateurs qui seront exposés au musée Singer Polignac (qui se trouve dans l'enceinte de l'Hôpital Sainte-Anne dans le XIVe ardt à Paris) par nos trois commissaires (le troisième est Anne-Marie Dubois):

Liste des créateurs exposés.jpg


     Les amateurs d'art brut fraîchement débarqués sur le sujet y trouveront sans doute leur miel, puisqu'on a semble-t-il songé à eux en ménageant quelques grands noms au sommaire, Aloïse, Scottie Wilson, Thérèse Bonnelalbay, Gaston Chaissac, Simone Le Carré Galimard, François Portrat, Pascal Verbena, Emile Ratier, Michel Nedjar, "Pépé" Vignes, Joseph Barbiero... tous ayant été exposés aux cimaises de la maison-musée, ou dans le parc unique en son genre consacré à des fragments d'environnements créés par des habitants-paysagistes imaginatifs, au fil des trente ans (et n'en ayant été que rarement décrochés). Mais peut-être que les commissaires  auront sélectionné quelques œuvres moins connues, gardées au secret ? Nous verrons bien.

 

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Thérèse Bonnelalbay, sans titre, encre sur papier, 24x32 cm, 1979, coll. BM


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A la Fabuloserie, la salle sous les combles, Albert Sallé, Pierre Petit, Emile Ratier, Pascal Verbena, etc., visuel dossier de presse "Un Autre Regard"

        J'attendais personnellement cependant un peu plus de folie dans cet accrochage d'"Un Autre Regard"... On a voulu au musée du Centre d'Etude de l'Expression du Musée Singer-Polignac ménager la chèvre et le chou, en choisissant d'organiser à la fois une expo anniversaire de la Fabuloserie et une expo de ses collections les moins souvent présentées. Ce qui a pour effet de décevoir un peu les connaisseurs de la Fabuloserie qui trouvaient justement qu'on n'avait que trop tendance à Dicy à ne pas suffisamment faire bouger les accrochages... Raconter l'histoire de la Fabuloserie et de son concepteur Alain Bourbonnais, architecte ayant mis son inventivité au service de la présentation la plus adéquate de ses collections d'art hors système des beaux-arts, cela n'a-t-il pas déjà été fait (Michel Ragon, Laurent Danchin)? Je pose la question, tout en reconnaissant par ailleurs qu'il n'y avait pas eu d'exposition des collections de la Fabuloserie à Paris depuis bien longtemps ce me semble. Et reconnaissons en plus que le Musée Singer Polignac lui au moins fait un réel effort pour défricher le champ de l'art brut en France, domaine que, dans une note précédente, je signalais délaissé par exemple dans les expos montées à la Halle Saint-Pierre depuis quelques années.

 

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Ce Janko Domsic est fort inhabituel, avec son dessin plaqué et surgissant de la photo, il justifierait à lui seul le projet annoncé de montrer des œuvres peu exposées à la Fabuloserie, visuel dossier de presse "Un Autre Regard"


       Par contre, extirper quelques pépites enfouies dans les réserves, voilà qui promettait davantage. Dans la liste citée ci-dessus, qu'est-ce qui serait donc vraiment original et inédit ? L'"anonyme" cité en premier, nous n'avons pas de précisions dans le dossier de presse à son sujet, ma curiosité s'aiguise. René Guivarch? Un créateur populaire breton que les catalogues montrent sans plus de développement il est vrai (il y avait une notice sur lui dans "les Singuliers de l'Art" en 78 à Paris, expo montée grâce aux nombreux prêts de l'Atelier Jacob, galerie qui a précédé la Fabuloserie, créée elle en 1983 ; la notice était en fait composée de fragments d'entretien avec lui qui confiait qu'"il n'aimait pas être commandé, qu'il n'aimait pas les patrons, qu'il se débrouillait seul...", un tel homme ne pouvait pas être foncièrement mauvais, donc bravo si on en apprend plus). Marianne Brodskis me paraît bien inconnue au bataillon, à découvrir... Gala Barbisan, une reproduction assez maigre, en noir et blanc, figurait dans le premier catalogue de la Fabuloserie (paru l'année même de l'ouverture au public de cette collection), donc on est heureux de s'instruire davantage, et de visu. Jacqueline Barthes, dit Jacqueline B., a été montrée via le premier catalogue, et n'est donc pas très connue non plus (car il y eut par la suite un deuxième catalogue, publié en 2001, qui ne reprenait pas forcément les mêmes créateurs, Jacqueline B. ne fut pas de ce deuxième catalogue par exemple). Le graveur de galets Jean Pous est lui plus notoire auprès de ceux qui suivaient les manifestations de l'Aracine dans les années 80-90. Il est aujourd'hui du reste représenté au LaM dans le département des habitats poétiques (voir ci-dessous). Mais il mérite certes qu'on lui consacre au moins un dossier.

 

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Deux galets gravés de Jean Pous au LaM, département de l'art brut, photo Bruno Montpied, 2010


      Michèle Burles et Jean Couchat font plus partie de ce que l'on appelle l'art singulier, des artistes marginaux qui ont pris exemple sur l'indépendance morale et esthétique des créateurs de l'art brut, et ce très tôt dans les années 70 (comme d'autres, fort nombreux à la Fabuloserie, Nedjar, Verbena, Marshall, Eckenberger, Monchâtre, Jano Pesset, Bourbonnais lui-même qui aimait s'entourer de ceux qu'il se reconnaissait pour des alter ego...). On parle bien moins de Burles et Couchat depuis plusieurs années. Il me semble que Michèle Burles avait fait une expo il y a quelques années chez Béatrice Soulié (me trompé-je?). On aurait pu joindre à ces deux-là un créateur qui mériterait une exposition à lui seul et qui a été grandement défendu par la Fabuloserie, à savoir Alain Genty, mais il n'a pas été retenu. Philippe Mahaut et Thomas Boixo sont eux inconnus, du moins de moi, mais je ne sais si pour le second cela vaut le coup de le faire connaître davantage ! C'est encore un de ces obsédés des architectures, et des véhicules, thèmes qui commencent depuis quelque temps à devenir des poncifs chez les nouveaux créateurs d'art brut qu'on nous présente venus d'un peu partout dans le monde (comme ces autres poncifs que sont certains gribouillages proposés en tant que tels comme des échos de l'art contemporain, afin de brouiller les cartes avec ce dernier...). Les visuels de ce Boixo proposés par le dossier de presse, un peu bouillasseux, ne sont à dire vrai pas très engageants...

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Jean Bordes, visuel du dossier de presse "Un Autre Regard"


     Jean Bordes (aussi appelé Jean de Ritoù) est un peu plus connu, du reste le dernier numéro de l'Œuf sauvage (n°11, 2012) a consacré un article (dû à Jano Pesset qui l'a découvert il y a déjà quelque temps) à ce créateur véritablement sauvage. Il sera cependant curieux de voir ce que l'on pourra nous en montrer. On annonce aussi Marcello Cammi. Ce créateur d'environnement étourdissant à Bordighera sur la Riviera italienne dans les années 80-90 (j'en ai déjà parlé sur ce blog), également peintre singulier et naïf, on le sait peu, avait, je crois, offert quelques sculptures à la Fabuloserie, sans doute par l'intermédiaire de l'épouse d'Alain Bourbonnais, Caroline, de passage dans son jardin en bordure du Rio Sasso (hypothèse...). On sait que cet environnement a été rasé après avoir été abîmé par une crue du fameux Rio. Très peu de statues semblent avoir été sauvées. Les quelques pièces qui sont à la Fabuloserie, nous en sommes donc fort curieux.

 

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Marcello Cammi et ses chiens en bordure du Rio Sasso, certaines de ses sculptures installées en berges autour de lui, dans les années 90, photographe inconnu (peut-être Raymond Dreux), archives BM


     Enfin, à la fin de cette liste, se trouve un créateur inconnu de moi, et je gage de beaucoup d'autres amateurs, désigné sous le vocable d'"Anonyme, dit Pierrot le Fou". Un dessin, apparemment exécuté dans les années 1930, sorte de planche de zoologie annotée comme un journal, fort naïvo-brut, est reproduit dans le dossier de presse, particulièrement intrigant. Rendez-vous donc le 12 décembre, au vernissage de cet "Autre Regard".

 

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Anonyme, dit Pierrot le fou, visuel fourni dans le dossier de presse d'"un Autre Regard"


18/11/2013

Fanzines... d'art brut? Rendez-vous samedi 23 novembre au Musée de la Création Franche

    C'est dans six jours. Une journée entièrement consacrée à la recherche autour des fanzines (petite presse en auto-édition) spécialisés dans l'art brut. L'initiative en revient à Déborah Couette du CrAB (Collectif de Recherche autour de l'Art Brut) et au Musée de la Création Franche à Bègles où se tiendra la journée d'études. Plusieurs intervenants, dont mézigue, sont attendus là-bas. Voici du reste le programme et les intentions des concepteurs de cette journée:

 

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    Des fanzines et des revues autour de l'art brut, il y en a eu, il y en a encore. Mais entièrement consacrés à l'art brut au sens strict du mot, à part les premières plaquettes éditées par la Galerie René Drouin en 1947-48, les publications en jargon de Dubuffet, puis les fascicules édités depuis le début des années 1960 sous l'égide de la Compagnie et de la Collection d'Art Brut, on ne peut pas dire qu'il y en ait eu véritablement. Toutes celles qui parurent, jusqu'à aujourd'hui, du Bulletin des Amis d'Ozenda, en passant par la Chambre Rouge, l'Art immédiat, Les Friches de l'Art, Gazogène, jusqu'à Zon'art et Création Franche, toutes ne parlèrent pas exclusivement d'art brut, mais aussi et surtout des alentours aussi bien, des formes d'art apparentées (art naïfs, habitants-paysagistes, graffiti, art modeste, inclassables etc.) en se référant également à des artistes singuliers rangés ailleurs dans la Neuve Invention (à Lausanne) ou dans la création franche (à Bègles). Comme si le concept d'art brut leur paraissait trop restrictif, trop ghettoïsant...

 

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Bulletin de l'Association Les Amis de François Ozenda

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La Chambre Rouge fut mon premier fanzine un peu sérieux, qui s'intéressait à la fois au surréalisme dans ses aspects les plus vivants, aux fous lttéraiires, aux divertissements littéraires, à la sculpture populaire, à l'art rustique moderne (Gaston Mouly et ses "dessins" ci-dessus évoqués sur la couverture du n°4/5 de 1985, bien avant que Gérard Sendrey ne rencontre, sur mon instigation, le même Mouly et ne s'attribue par la suite la responsabilité d'avoir poussé Mouly vers le dessin...)

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Le n°2 et le n°1 de L'Art Immédiat, ma deuxième revue, de 94 et 95, cette fois plux axée sur les arts populaires spontanés

Création-Franche-n°30.jpgCréation Franche

Gazogène, le numéro plus récent, n°35fanzines,art brut,art singulier,surréalisme spontané,la chambre rouge,l'art immédiat,collection de l'art brut,création franche,crab,déborah couette,zon'art,ozenda,recoins,gazogène

         De plus, les publications de la Collection de l'Art Brut, si elles sont bien de l'auto-édition du fait de la Collection elle-même (dans la majeure partie des fascicules, car les derniers en effet sont édités conjointement avec In Folio éditions), ne sont pas à proprement parler analogues aux "fanzines", éditions qui se caractérisent généralement par une certaine pauvreté de moyens, étant le fait de chercheurs et de passionnés le plus souvent désargentés, indépendants des cercles professionnels du journalisme et de l'édition. 

     Il était cependant tentant d'aller porter un peu l'éclairage de ce côté, pour voir pourquoi il fut important pour quelques passionnés en France –dont le signataire de ces lignes, et animateur de ce blog,  fait partie– de faire de l'information sur les phénomènes non seulement de l'art brut mais aussi de l'art naïf, de l'art populaire rural, de l'art forain, de l'art populaire contemporain aussi appelé art modeste, d'un certain surréalisme spontané, de la littérature ouvrière, des fous littéraires, des environnements spontanés, des cultures urbaines, de l'art de la rue, des graffiti, etc. Il est tentant d'essayer de comprendre aussi pourquoi il n'a pas été possible en France, et ce jusqu'à présent, de monter une grande publication périodique qui se consacrerait à l'étude et à l'information sur tous ces aspects de la créativité autodidacte spontanée, publication qui aurait fait appel à toutes sortes de plumes. Ne seront pas non plus évoquées, très probablement, et ce sera dommage, toutes les publications encore moins spécialisées sur les arts populaires, pas nécessairement des fanzines aux pauvres atours, mais qui ont cependant régulièrement publié des informations sur tel ou tel sujet qui appartenait au corpus, comme les revues Plein Chant, SURR, Jardins, voire les magazines L'ŒilArtension, L'Oeuf Sauvage (par exemple). Des fanzines d'aujourd'hui comme Recoins et Venus d'Ailleurs (très soigneusement édité ce dernier), sans se braquer sur l'art populaire ou brut, savent de temps à autre accueillir des articles sur le sujet. Il faudrait donc ouvrir plus largement le compas et s'interroger sur l'ensemble des articles ou études publiés ici et là sur le thème des arts d'autodidactes inventifs.

 

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Annonce de la publication de la revue Recoins n°5 (avec plusieurs articles concernant les arts populaires et les environnements spontanés), parution 2013

 

     Sans compter que d'ici très peu de temps, il faudra aussi que nos amis universitaires et archivistes se penchent avec suffisamment de documentation numérisée sur les blogs qui ont pris le relais avec vigueur des publications sur papier (comme l'auteur de ce blog qui put grâce à ce médium donner toute l'ampleur qu'il souhaitait à la masse d'informations dont il disposait, une fois passée l'époque "héroïque" des premiers fanzines des années 80 et 90).

Pour suivre cette journée, il semble prudent de réserver auprès du Musée de la Création Franche.

27/10/2013

Salon d'art alternatif, Hôtel le A

     Enigmatique appellation, isn't it? Ce serait pourtant l'exacte traduction d'"Outsider Art Fair", ce salon organisé par Andrew Edlin, par ailleurs directeur de la galerie du même nom à New York, galerie qui se consacre à diverses découvertes classables ou non dans l'art brut.

     On sait qu'aux USA, le terme d'art brut est difficilement traduisible, et pas seulement le terme, mais la notion elle-même. On lui préfère "outsider art" qui sert à regrouper dans un vaste pot-pourri l'art des pionniers (limners naïfs américains des XVIIIe et XIXe siècles), art populaire, art des environnements, et art d'individus autodidactes marginaux (pensionnaires d'asiles, médiumniques, et une sacrée tripotée de zinzins mystico-visionnaires, qui paraissent florissants aux States). Derrière cette étiquette, mêlés sans aucun distingo aux créateurs autodidactes non artistes professionnels, se cachent cependant aussi toutes sortes d'artistes en voie de professionnalisation, visionnaires étranges, marginaux à l'intérieur de l'art contemporain, que l'on aurait pu aussi bien voir revendiqués par le surréalisme en un autre temps.

 

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     Les Américains ont donc décidé de venir à Paris pour quatre jours (ça se termine ce dimanche) rassembler dans un petit hôtel quatre étoiles de six étages, rue d'Artois, à deux pas des Champs-Elysées et de la FIAC, 24 galeries plus ou moins spécialisées dans les divers champs de ce qu'ils appellent l'art outsider, galeries venues d'Amérique ou d'Europe. Le prix d'entrée est du même genre qu'à la FIAC, 15€, pour venir voir si l'on peut dépenser plus dans les galeries présentées (!), et encore plus cher pour avoir le droit de venir au vernissage (re-!). Tout ça n'étant pas, comme s'en convaincront les lecteurs du Poignard Subtil, very, very democratic. Il fallait certes rembourser les frais de location de l'hôtel 4 étoiles. Mais qui obligeait ces messieurs à investir un hôtel si chic (autour de 500 € la nuit d'hôtel)? Hormis la nécessité à leurs yeux d'offrir l'art des miséreux, des aliénés et des souffrants de l'âme aux privilégiés et aux favorisés de la vie (à la recherche d'un peu de réalité et de bonne conscience probablement?), fréquentant les Champs et accessoirement croisant du côté de la FIAC proche?

       Mais oublions ces propos un peu amers, et reconnaissons aussi, comme Philippe Dagen dans une chronique qu'il a donnée au Monde ces jours-ci, que l'on pouvait vite oublier ce paradoxe lamentable au fur et à mesure que l'on découvrait, grâce à nos coupe-files (Dagen oublie de le dire), d'étage en étage, des créateurs passionnants présentés de façon succincte mais fort soigneusement.  L'idée d'un hôtel, dans l'absolu, du reste, était amusante et déroutante. Chaque galerie possédait une chambre, le lit n'en avait pas été déménagé, les œuvres se distribuaient tout autour, la situation, lorsque la charmante hôtesse qui s'y trouvait vous ouvrait la porte -comme me le fit remarquer RR que j'avais invité à me suivre dans cette étrange foire- pouvant relever d'une certaine confusion des sentiments. On entrait après tout dans des chambres décorées d'art brut, invitées par une charmante jeune fille, le lit trônant comme une invite au centre de la pièce, certains pouvaient hésiter entre elle et lui (l'art brut)...

 

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Janet Sobel en action, 1948, Raw Vision n°44, ph. Ben Schnall

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Janet Sobel, galerie Gary Snyder, New-York


     Vingt-quatre heures se sont écoulées depuis que j'ai fait une visite à ce salon. Qu'en surnage-t-il? Pas les gribouillages de Dan Miller en tout cas, contrairement à M.Dagen, que je trouve toujours bien trop proches d’œuvres de la modernité plastique pour être honnêtes (façon de parler...). Non, c'est avant tout la découverte de Janet Sobel dont je n'avais jamais vu de peintures et qui a fait l'objet d'un article apparemment fourni dans un vieux numéro (le n°44) de Raw Vision vers 2003. Si j'ai bien compris, je ne suis pas fortiche en anglais, cette dame, Juive d'origine ukrainienne et émigrée aux USA, disparue en 1968, fut à la fois perçue comme appartenant à l'expressionnisme abstrait, ayant influencé peut-être Pollock, et redécouverte comme une "outsider" plusieurs années plus tard (une situation qu'elle partage avec quelques autres grands aérolithes inclassables, tel Jan Krisek par exemple). Ses œuvres sont tout à fait remarquables. J'en montre ci-dessus et ci-dessous quelques exemples que je dois à l'obligeance de la galerie Gary Snyder qui la représentait dans ce salon.

 

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Janet Sobel, sans titre, technique mixte sur papier

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Janet Sobel, galerie Gary Snyder


    Par contre, j'ai été fortement déçu par les photos d'Eugen Von Bruenchenhein (par ailleurs aussi exposées actuellement à la galerie Christian Berst à Paris, galerie représentée à l'Outsider Art Fair), que finalement je trouve assez banales, n'ayant pas d'intérêt, ni d'un point de vue érotique, ni d'un point de vue photographique. Ses meubles en os assemblés sont pour le coup bien plus intrigants. Mais il n'y en avait pas à l'Hôtel le A.jadu 17.7x108.5 site Perdriolle.jpg

    La galerie d'Hervé Perdriolle montrait pour sa part de l'art populaire indien contemporain, notamment toute une série de petits papiers dessinés genre "patua", à fonction magique, destinés par des peintres anonymes ambulants à permettre aux défunts de se libérer des démons qui auraient voulu traîner leurs âmes en enfer (je récite, approximativement sans doute, la leçon que me fit la charmante hôtesse de la galerie). Les patua sont aussi des rouleaux narrant des histoires terrifiantes appuyant visuellement les récits de conteurs-peintres ambulants (voir ci-contre ce rouleau extrait du site web de la galerie). La galerie d'Hervé Perdriolle donne là-dessus ses éclaircissements.

 

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Dessin de Radmila Peyovic, extrait du catalogue de l'exposition "Ai Marginali dello Sguardo" de 2007 en Italie


     Philippe Eternod et David Mermod formaient un couple de galeristes extrêmement passionnés à un autre étage, gambadant mentalement d'un créateur à l'autre d'une manière tourbillonnante qui donnait l'impression d'une valse aux murs tapissés de dessins d'Aloïse, de Gaston Teuscher, de Jules Fleuri, de Raphaël Lonné, d'Abrignani, de Radmila Peyovic, etc. Au milieu de cette valse, apparut brusquement le visage du créateur ACM qui me serra la pogne dans un flash ultra fugitif qui me donna le regret de ne pas en savoir plus. Ces initiales mystérieuses avaient tout à coup un  visage.

 

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Un dessin de Susan King, extrait d'un catalogue chez Marquand Books à Seattle

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Richard Kurtz, extrait du site web du créateur


      D'autres révélations me furent prodiguées, l'ex-boxeur Richard Kurtz au dernier étage chez Laura Steward, les cahiers de croquis étonnants de la Néo-zélandaise Susan Te Kahurangi King qui métamorphose constamment un petit personnage publicitaire de la marque de soda Fanta, le vagabond David Burton (1883-1945)davidburtonportr.jpeg qui dessinait sur les trottoirs (il fit l'objet d'un sujet dans les archives d'actualités de la firme Pathé, un beau motif de quête pour l'ami Pierre-Jean Wurtz, ça, n'est-il pas?), représenté par la galerie anglaise de Rob Tufnell, le naïf grec Giorgos Rigas, représenté par la galerie C.Grimaldis de Baltimore, et cet étonnant créateur brut, Davide Raggio (voir ci-dessous l'œuvre sans titre de 59 x 47 cm de 1998), travaillant avec trois fois rien, des matériaux fragiles à portée de main, friables, aux limites de l'évanescence et de l'inconsistance, créateur qui s'est fait connaître par ses figurations faites de peaux de carton décollées et déroulées de manière à produire des silhouettes plus claires par contraste avec la teinte  kraft plus sombre des cartons.davide raggio, 59x47 cm, 1998, decollage.jpg Sur le salon, on en trouvait à la fois chez Rizomi, la galerie turinoise, et à la Galerie lausannoise du Marché chez Eternod et Mermod. Ce créateur a ceci de remarquable qu'il a pratiqué en dépit de sa situation d'enfermé (en asile) diverses techniques d'expression toujours marquées par le sceau de la précarité mais enfin fort variées ce qui est rare chez nos grands obsessionnels.

     Enfin, chez Cavin Morris, galerie new-yorkaise, on pouvait admirer du coin de l’œil sur le mur et étalés sur la courtepointe quelques magnifiques dessins de Solange Knopf, œuvres que j'aime décidément beaucoup.

 

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Solange Knopf, Botanica, 2013

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Solange Knopf, Spirit Codex, 180x100 cm, 2013


03/10/2013

Essaouira, les "malfaisants" résistent encore! Un récit de Darnish et Samantha Richard

Rencontre avec des artistes Souiris

(juillet 2013)

          « Une écurie de canassons analphabètes » écrivait dans une sorte de manifeste le 22 Février 1999 Houssein Miloudi, le peintre établi d’Essaouira, à propos des artistes autodidactes réunis dès la fin des années 80 autour de la figure de Fréderic Damgaard et de sa galerie.

          « L’histoire les a broyés »,  «ces malfaisants n’ont laissé aucune trace » acquiesçait Abdelwahab Meddeb, ces derniers propos ayant été tenus dans l’émission « Culture d’Islam » consacrée à Houssein Miloudi sur l’antenne de France Culture cette année.

          Qu’en est-il vraiment ? Avec Samantha, nous nous sommes rendus à Essaouira cet été, en plein ramadan. Après un voyage en bus depuis Marrakech, nous voici arrivés dans cette cité au bord de l’océan où la température, bien plus fraîche qu’au nord nous a tout de suite permis de prendre un salutaire bol d’air.

          En rejoignant notre premier point de chute, nous sommes passés devant «l’atelier Damgaard» où sur les murs extérieurs étaient présentées des œuvres de Mustapha Asmah (voir ci-contre photo de Samantha Richard). Ces visages aux grands yeux, aperçus furtivement, nos sacs pesant sur l’épaule, paraissaient nous saluer, le pied à peine posé dans la ville… Bon présage.art brut,créateurs autodidactes d'essaouira,essaouira,ali maimoun,darnish

          Ce n’est que le lendemain que, reposés, nous sommes revenus sur nos pas et avons pu admirer les œuvres exposées dans l’atelier Damgaard (atelier d’encadrement et annexe de la galerie) et la galerie située à une cinquantaine de mètres. Dans ces lieux, de nombreuses œuvres se côtoient, ne laissant que peu d’espace vide sur les murs. Ainsi Maimoun voisine avec El Hadar, Sanana, Tazarine, Ouarzaz, Babahoum, Asmah et d’autres encore. L’accrochage est un peu confus mais les œuvres s’imposent à notre regard, on découvre…

 

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Azedine Sanana, Galerie Damgaard, ph. Samantha Richard, 2013

 

         Le type qui tient la galerie nous explique que Frédéric Damgaard  s’est retiré de l’affaire et que la galerie, même si elle porte toujours le même nom, appartient désormais à un couple de nationalité belge. Ce couple nous a-t-on dit par ailleurs l’a achetée comme on achète une paire de chaussures. Entendons par là qu’il n’a ni l’envie ni l’énergie de faire connaitre ces artistes et que du coup la galerie vivote, quelques touristes s’y aventurent, pas grand monde.

          Nous avons essayé d’entrer en contact avec les artistes par le biais du type qui tient la galerie mais ces essais se sont avérés infructueux. En arpentant la ville nous avons bien trouvé quelques espaces d’expositions tenus par les artistes eux-mêmes mais les œuvres proposées nous semblaient un plagiat, une sorte de copie de ce qui se trouvait chez Damgaard. Pas de quoi fouetter un chat.

          C’est donc l’âme en peine que les jours passant, nous nous faisions à l’idée de retourner en France, n’ayant pas rencontré un seul de ces créateurs extraordinaires.

          La providence a voulu que les choses se déroulent autrement. En effet, depuis le balcon de notre second point de chute, l’hôtel Beaurivage (hôtel au charme suranné), nous avions remarqué l’ouverture d’un "complexe commercial", en fait un local où se trouvaient des vendeurs d’huile d’argan et autres produits locaux. C’est en jetant un rapide coup d’œil à l’intérieur que nous avons aperçu, au fond du local, une peinture majestueuse qui, malgré la distance, était manifestement de la main d’Ali Maimoun. En effet un petit espace bien discret, derrière des tapis, était dédié à la peinture et pas n’importe quelle peinture puisqu’au mur il y avait Ali Maimoun père et fils, Mustapha Asmah et Abid El Gaouzy, lui-même présent sur les lieux.

 

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Atelier de Mustapha Asmah, ph. SR, 2013


          On peut dire qu’avec Abid El Gaouzy le contact est tout de suite passé malgré la barrière de la langue. Il nous a expliqué l’aventure Damgaard et le besoin pour les artistes de se prendre dorénavant en mains. Pour ce faire, il a créé une association, « Jamaia Alouan Naouras Fitria », que l’on peut difficilement traduire (cela donnerait à peu près « l’Association des  Couleurs des Mouettes Naïves »). Pourtant ni les mouettes ni les couleurs ne sont naïves, cela aurait plutôt à voir avec les déjections de ces volatiles omniprésents à Essaouira et leur faculté de vous repeindre un vêtement en volant au-dessus de vos têtes… Abid El Gaouzy est le président et le moteur de l’association. Autour d’un café à la terrasse du Café de France, rythmé par la rude fumée des cigarettes Marquise, nous avons discuté peinture, matériel utilisé, précarité des artistes et acharnement à peindre encore et toujours. Le lendemain, un rendez-vous fut fixé à 11h du matin pour visiter quelques ateliers dans un quartier périphérique.

          C’est donc à 11h que nous avons retrouvé Abid El Gaouzy pour prendre un taxi et nous rendre au « Quartier Industriel ». On y retrouva Abdulah El Moumni le secrétaire de l’association qui parle très bien français et qui se proposait de faire l’interprète. Il est le seul membre non artiste de l’association. Ce quartier au nom si peu poétique est en fait un ensemble de masures faites de bric et de broc où des biffins étalent leurs pauvres marchandises qui vont de la chaussure unique à la bouteille de soda vide en passant par la chaise à 3 pieds… Le bois, principal matériau de construction de ce quartier, est devenu gris sous l’assaut des embruns et du vent chargé de sable de cette région. Impressionnés, nous pénétrâmes dans ce bidonville totalement anarchique pour arriver devant l’atelier de Mustapha Asmah.

          Il était là avec sa Femme Najia,  sachant que nous venions. Devant l’atelier une pancarte indiquait sa présence. Quiconque connaissant ce lieu peut lui rendre visite, le dimanche plutôt, pour y acquérir une peinture. Et quelle peinture!  Mustapha Asmah peint beaucoup et son atelier est rempli d’œuvres qui font de cet endroit un quasi « environnement ».

          Il y a des toiles, des peintures sur bois, des assemblages, des sculptures en pierre récupérées sur la plage et taillées avec des outils de sa confection, des instruments de musique à cordes entièrement réalisés par ses soins et agrémentés de ses petits personnages aux grands yeux expressifs. Nous n’en croyions pas nos mirettes. A un moment nous devinons un âne représenté sur une peinture et Mustapha Asmah, en mimant des zigzags avec sa main nous dit : « l’âne, le plus grand ingénieur des autoroutes ». Nous comprenons que selon lui, il suffirait  pour décider du tracé d’une route de suivre le chemin que prend l’âne… Nous étions très loin de « l’écurie de canassons analphabètes » évoqué plus haut par ce peintre officiel…

 

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Atelier d'Abdelaziz Baki, ph. SR, 2013

         Puis Abid El Gaouzy nous a amené voir Abdelaziz Baki, un autre membre de l’association, le plus âgé d’entre eux. Ici aussi un écriteau signale qu’il s’agit d’un atelier d’artiste. A l’entrée une fusée-vélo d’enfant bricolée et peinte évoque une pièce de manège sans manège, à moins que le manège soit partout en fin de compte.

 

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Abdelaziz Baki, ph. SR, 2013


          Abdelaziz Baki, ancien électricien,  nous montre sa peinture aux couleurs vives à mi-chemin entre abstraction et figuration. Il peint aussi des bois flottés assemblés qu’il transforme en créatures imaginaires, souvent des dinosaures. Il les appelle ses totems. Comme Mustapha Asmah, une grande sérénité émanait d’Abdelaziz Baki. Une fois de plus, nous ne pouvions en croire nos yeux.

 

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Abdelghani Ben Ali, ph.SR, 2013


          Puis à quelques mètres de là, nous allons voir Abdelghani Ben Ali. Moins serein que ses confrères, plus tourmenté par une vie difficile où décès traumatisants ont côtoyé de graves difficultés financières (ancien pêcheur, son bateau a fait naufrage), Abdelghani Ben Ali s’exprime par une peinture fort différente des autres. Chez lui la nudité s’expose, des ânes copulent, les couleurs sont moins vives, tandis qu’une grande force se dégage de ses créations, une force inouïe même. De petits formats très sombres nous plongent dans « quelque chose » que nous n’avons plus l’habitude de voir en France.art brut,créateurs autodidactes d'essaouira,essaouira,ali maimoun,darnish Il y a quelque chose de Goya, je trouve, chez Abdelghani Ben Ali qui nous dit peindre seulement quand l’inspiration lui vient. « Si je veux dire quelque chose, je le dis dans mon tableau », nous confie-t-il avec une certaine gravité.

 

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Abdelghani Ben Ali dans son atelier à côté de certaines de ses oeuvres, et insérée dans la note une autre de ses peintures, ph. SR, 2013 ; je (l'animateur du blog) me demande si ce Ben Ali ne serait pas par hasard le même peintre dont Patricia Allio dans son exposition 'L'art brut à l'ABRI" à Dol-de-Bretagne en 2001 montra au moins deux oeuvres (voir tout de suite ci-dessous)?

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"Ali", deux peintures, provenant d'Essaouira, exposées par Patricia Allio à Dol-de-Bretagne en 2001, le même Ali que rencontrèrent Samantha et Darnish à Essaouira cet été? Photo Bruno Montpied, 2001


          Enfin nous terminâmes notre visite par l’atelier de Mustapha El Hadar, seul à ne pas faire partie de l’association. Franc-tireur envers et contre tout, il continue cependant de travailler avec la galerie Damgaard. Il est surtout connu pour ses dessins à l’encre de Chine ou au « smah » (sorte d’encre à base de crottes de chèvre) sur des peaux marouflées sur bois. Il rehausse ensuite parcimonieusement ses dessins de gouache aux couleurs vives. Dans ses grands formats fourmille un bestiaire halluciné, fascinant. Dans son atelier, une grande œuvre interrompue faute d’encre trône au milieu d’expériences en tout genre. Ici un assemblage d’objets en plastique, ailleurs un collage en trois dimensions. Ce sont des expérimentations réalisées quand une peinture est en train de sécher car Mustapha El Hadar, perpétuellement excité, ne veut pas perdre de temps. Il a aussi fait des installations de land art « brut » à base de morceaux de carrelage disposés sur la plage du quartier industriel sur lesquels il pose des objets mis au rebut comme un vieux téléviseur, une chaise, etc…

 

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Mustapha El Hadar, ph. SR, 2013


          Nous quittâmes cet endroit bouleversés par ce que nous y avions vu, par les rencontres faites. Tout cela nous ramenait à notre situation en France, à notre idée de ce qu’est l’art, idée bien souvent mise à mal par ce que nous voyons en général, par cette mainmise d’un art contemporain si éloigné de la vie, combien même il prétend la signifier, la représenter, la sublimer, y dénoncer ses travers.

          Le soir nous retrouvâmes Abid El Gaouzy qui surveillait l’arrivée d’éventuels clients dans le fameux complexe commercial en sirotant son café à la terrasse du Café de France. L’air était frais et le café moins cher depuis que nous y allions avec Abid. A ce moment il nous annonça qu’Ali Maimoun, au courant de notre présence, allait venir à notre rencontre. Nous ne nous étions pourtant présentés ni comme des acheteurs, ni comme des galeristes, seulement comme deux artistes français désireux de rencontrer des artistes d’Essaouira pour quand même, peut-être, et excusez du peu, rédiger une note sur le Poignard Subtil et ainsi rétablir un pont entre eux et nous, rompre leur isolement.

          Ali Maimoun, monsieur Maimoun comme le dit non sans humour Abid El Gaouzy, arriva donc, venu depuis sa campagne dans les terres sur la route de Marrakech ou il possède une maison et un atelier. Portant une djellaba, un chapeau vissé sur la tête et un paquet de Marlboro à la main, Ali Maimoun a l’allure d’un bluesman. Il nous évoqua lui aussi la période bénie de Frédéric Damgaard. « Un grand monsieur, Fréderic » nous confia-il. Frédéric Damgaard rémunérait généreusement les artistes, ce qui n’est plus le cas avec ses successeurs qui ont petit à petit réduit les billets jusqu’à ce que quelqu’un comme Ali Maimoun ne s’y retrouve plus vu le temps qu’il lui faut pour faire une peinture (parfois deux mois). Quand je dis une peinture, c’est façon de parler, car c’est autant un volume, un bas-relief qu’une peinture. Dans un premier temps il découpe dans du bois des entrelacs de formes abstraites, puis il colle ce découpage sur une planche. Ensuite il passe un enduit de son invention à base de colle et de sciure de bois. Ce n’est qu’à la fin qu’il y dépose ses couleurs si particulières, si harmonieuses. En y regardant de plus près on y voit de petits yeux par ci par là qui nous rappelle que ces formes abstraites au premier coup d’œil, représentent en fait des corps, des créatures enchevêtrées les unes dans les autres comme autant de diables dansants. Depuis quelque temps il initie son fils qui, après avoir en quelque sorte imité son père, semble prendre dorénavant son propre envol.

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Ali Maimoun au milieu de ses oeuvres, ph. SR, 2013

          Nous nous sommes pris en photo bras dessus bras dessous avec Ali Maimoun avant de nous quitter chaleureusement.

 

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Abid El Gaouzy étalant une de ses dernières oeuvres, ph SR, 2013

             Le lendemain, Abid El Gaouzy nous convia, pour un repas d’adieu, dans un appartement qu’on lui prête. Il nous avait préparé un excellent tagine de poisson. Après le repas nous nous rendîmes dans son atelier, un garage prêté lui aussi. Dans ce petit lieu quelques œuvres en cours nous ont interpellés. Abid El Gaouzy cherche encore son style ou plutôt il ne se contente pas d’un style, même si le mot naïf n’est pas exagéré pour définir l’ensemble de ses pratiques. Nous retournâmes ensuite une dernière fois à la terrasse du café où même en ce mois de juillet, un pull en laine n’était pas de trop. Mustapha Asmah nous y rejoignit et c’est avec beaucoup d’émotion que nous les quittâmes sur cette terrasse animée en ce soir de ramadan.

          Ce texte, cette tribune permettront, je l’espère, de contredire l’odieuse affirmation meddebienne que « l’histoire les [aurait] broyés ».

             Darnish et Samantha Richard

            Ps : Bien que ne l’ayant pas rencontré je voudrais aussi parler d’un autre artiste qui habite non loin d’Ali Maimoun, portant le doux nom de Babahoum. Babahoum, très âgé, est sans doute celui qui peut davantage être qualifié de naïf. Sa peinture, souvent constituée de motifs répétés (dromadaires, ânes, personnages, cigognes entre autres) ne souffre d’aucune ambition d’illusion perspectiviste. Les motifs répétés rythment de manière très douce ses formats tous quasiment identiques, tracés sur des cartons de récupération. Il utilise le Bic pour cerner les contours de ses aquarelles aux teintes souvent sableuses. Une grande harmonie naît de son œuvre, et surtout une vie intense. D’après ce que l’on a pu apprendre du personnage, il semble que Babahoum ait fréquenté les hippies dans les années 70 et que sous l’impulsion de ces derniers, il se soit mis à peindre sur les murs des cafés de son village. Puis il s’est occupé d’un pressoir à olive activé par la force d’un dromadaire ce qui peut-être lui a permis de transcrire dans sa peinture cette subtile impression de lenteur, de temps qui défile tranquillement.

 

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Babahoum, ph SR, 2013

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Autre œuvre de Babahoum, ph SR, 2013


 

17/09/2013

De la lenteur avant toute chose

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     L'association ABCD invite l'association Portraits pour une exposition où seront confrontées des œuvres d'art contemporain et des créations faisant partie des collections d'art brut d'ABCD. Il y a pas moins de cinq commissaires d'exposition pour cette association Portraits, tandis que Barbara Saforova reste bravement seule commissaire pour ABCD. "De la lenteur avant toute chose", titre et thème de l'expo qui commence à Montreuil-sous-Bois dans les locaux de la galerie ABCD le 29 septembre et se terminera le 16 novembre, invite à réfléchir si la lenteur des processus créatifs (terme qu'affectionne et creuse une des commissaires de l'expo, doctorante à Paris I et conservatrice au musée Picasso, Emilie Bouvard) ne pourrait être interprétée comme un comportement subversif dans un monde dominé par une consommation effrénée et étourdissante des images:

     "La vitesse est révolutionnaire. Mais la vitesse peut devenir celle, mécanique et aliénante, de la machine, celle de la ville Babylone, industrieuse, faisant et défaisant les modes à un rythme rapide, effréné et superficiel. Dans un monde où l’artiste se voit imposer une productivité toujours plus soutenue, serait-il possible de penser, comme le sociologue Hartmut Rosa dans Accélération : Une critique sociale du temps (2010), que la modernité, à force d’accélérer, pourrait bien faire du surplace ? Il convient ici de s’intéresser à des processus créatifs qui, dans leur lenteur, impliquent une durée subversive par rapport aux injonctions contemporaines de consommation de l’art et des images, sans toutefois s’inscrire dans un anti-modernisme moralisateur" (extrait du dossier de presse de l'exposition).

     Intéressante question qui paraît faire écho à des préoccupations plus anciennes d'un Paul Virilio, si je peux me permettre de citer ici un philosophe que je n'ai jamais lu mais seulement très effleuré, qui plus est en diagonale, aux étalages des librairies... La lenteur du processus créatif, le temps pris à confectionner minutieusement divers travaux sans se préoccuper des contingences extérieures, n'est-ce pas la même chose qui est pointée ici en creux que l'inactualité radicale d'une certaine création, le temps vécu en décalage absolu vis-à-vis du temps du travail, de la consommation, de l'obéissance aux clichés et aux modes? Un éloge de la désobéissance et du grand écart vis-à-vis de la société du spectacle?

Sophie Gaucher ,Sang noir, 2012.jpg     Les commissaires de l'expo en question croient voir un éloge de la lenteur chez des artistes et créateurs qui travaillent avec minutie sans compter leur temps, mais apparemment assez hétéroclites si j'en juge par rapport aux quelques images semées dans le dossier de presse. On  y retrouve la dessinatrice Sophie Gaucher dont j'avais proposé à la sagacité de mes lecteurs les dessins en leur demandant si cela pouvait être de l'art brut. Il paraît que c'est ma note qui aurait donné l'idée à Emilie Bouvard et ses amies de la confronter à des œuvres dites d'art brut, c'est décidément trop d'honneur. Mais je rappellerai ici que mes lecteurs dans leurs commentaires l'identifièrent sans hésiter comme une dessinatrice contemporaine...

     Voici la liste des exposants: ACM, Arnaud Aimé, Anaïs Albar, Clément Bagot, Koumei Bekki, Jérémie Bennequin, Arnaud Bergeret, Gaëlle Chotard, Mamadou Cissé, Florian Cochet, Samuel Coisne, Isabelle Ferreira, Sophie Gaucher, Hodinos, Rieko Koga, Kunizo Matsumoto, Dan Miller, Mari Minato, Edmund Monsiel, Hélène Moreau, Benoît Pype, Daniel Rodriguez Caballero, Chiyuki Sakagami, Ikuyo Sakamoto, Judith Scott, Claire Tabouret, Jeanne Tripier, Najah Zarbout.ACM De la lenteur.jpg

       Je n'en connais pas beaucoup là-dedans, si ce n'est les créateurs d'art brut bien connus, ACM et ses maquettes de ruines rongées faites en agrégat de composants électroniques, Emile Josome Hodinos (qui personnellement me barbe avec ses litanies d'inscriptions et de médailles), Dan Miller (un as du gribouillage, une sorte de Cy Twombly spontané et plus brouillon), Judith Scott (qui avec ses cocons de fils, c'est sûr, était complètement barrée loin de nos préoccupations de grands aliénés de la survie), Edmund Monsiel (prolifération vaporeuse de visages) ou Jeanne Tripier (et ses broderies de bénédictine). Les autres noms ne me disent rien. Tout juste puis-je dire, à regarder les images du dossier de presse que je serais curieux de voir les œuvres de Benoît Pype, avec ses fonds de poche dont il fait des petites sculptures ce qui me rappelle une démarche plutôt dalinienne (de sa grande époque surréaliste, pas celle d'Avida Dollars). Ah si, Mamadou Cissé, je vois ce que c'est, on en a déjà vu à la Fondation Cartier, des villes ultra décoratives vues de haut comme des circuits imprimés filtrés par des lunettes psychédéliques, j'avais assez peu apprécié, je trouvais que cela démarquait en moins bien les maquettes de villes futuristes du congolais Bodys Isek Kingelez précédemment exposées dans la même Fondation Cartier...

 

Benoît pype sculpture de fonds de poche.jpg




26/05/2013

Infos-Miettes (21)

  Depuis novembre dernier, pas d'infos-miettes, palsambleu, il faut remédier à ça mon cousin... Ce n'est pas que les nouvelles manquent, au contraire, mais c'est que je n'ai pas toujours envie de servir la soupe... Tous les égoïstes (en voie de multiplication, non?) me comprendront.

Serge Paillard se donne un site

      Voici qu'il fait sa communication comme tout un chacun, le Sergio amateur de patatovision. On lui a bâti un site web, et c'est plutôt réussi, qu'on en juge plutôt ici. A partir d'aujourd'hui je le joins à la liste de mes liens (à droite).

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Serge Paillard, Pomme de terre en lune, comme surprise


Charles Steffen à la collection de l'Art Brut du 23 mai jusqu'au 29 septembre

     C'est beau les dessins de ce monsieur Steffen (1927-1995), américain qui dessinait sur de grandes feuilles de papier genre kraft avec des crayons de couleur et de la mine de plomb.

 

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Charles Steffen, 1995, © Estate of Charles Steffen


   Bizarres sont ses personnages. "Quand il ne dessine pas, il boit beaucoup et fume, surtout la pipe", dit le dossier de presse de la Collection de Lausanne. Il habite chez sa mère, avec sa sœur et son frère, dans un état psychique qui ne lui permet pas de s'insérer dans le monde du travail. Il dessine beaucoup mais sa soeur qui a peur que cela finisse par alimenter un incendie lui en fait détruire une bonne partie. De 63 à 89, rien  ne subsiste. Seule la production des six dernières années est parvenue jusqu'à nous... Ça fait tout de même 2000 dessins... Leurs sujets sont des nus, des danseuses, des crucifixions (drôe de mélange), des fleurs aussi, des personnages de sa vie quotidienne, comme sa mère dans son fauteuil roulant ou alitée. Mais il lui arrive de dessiner aussi des sujets moins classiques comme des flaques d'eau sur les trottoirs. Un personnage étrange surgit également dans son oeuvre à partir d'un moment, une sorte d'être humain mixé avec une plante du type tournesol, une plante humanisée en quelque sorte, cyclopéenne. C'est en tout cas un des exemples les plus inspirants qui nous soient parvenus via l'art brut américain. Il y aura une notice sur lui dans le fascicule n°24 de la collection de l'Art Brut, rédigée par la nouvelle conservatrice de la Collection, Sarah Lombardi.

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Charles Steffen, Mère et enfant, Nu au tournesol, 1994, mine de plomb et crayon de couleur sur papier kraft, 112.5 x 76.5 cm ; Photo Atelier de numérisation - Ville de Lausanne; Collection ce l'Art Brut, Lausanne

Albasser sans miroir

serge paillard       Etrange titre d'info-miette, isn't it? C'est que Pierre Albasser qui toujours dessine sur cartons d'emballage avec feutres usagés et récupérés expose du 4 juin au 13 juillet 2013 (vernissage le jeudi 6 juin à 18h30) à la Galerie Anti-Reflets, 2, place Aristide Briand, à Nantes (tél: 02 40 89 23 69). Il se donne ces petites contraintes fidèlement depuis le début, depuis qu'il est à la retraite, et n'en finit pas de découvrir l'univers graphique qui en découle.

 La Maison Bleue de Da Costa Ferreira, suite

    Une deuxième tranche de travaux pour restaurer l'ensemble des petits monuments couverts de mosaïque par l'ouvrier d'origine portugaise Euclides Da Costa Ferreira à Dives-sur-Mer est prévue pour cette année, m'annonce l'Association "La Maison Bleue de Da Costa" (siège social: Mairie, rue du Général De Gaulle, 14160 Dives-sur-Mer, http://lamaisonbleue.unblog.fr).

Anna Zemankova vient faire un tour chez Christian Berst serge paillard

     Du 31 mai au 20 juillet, c'est la célèbre dessinatrice de l'aube, Anna Zemankova qui aura des dessins exposés à Paris dans la galerie Christian Berst. C'est une "classique" de l'art brut, et un de mes créateurs préférés. La botanique débridée de cette dame qui se levait aux aurores avant toute sa petite famille, dépliant son attirail en catimini et traçant ses automatismes probablement imprégnés des rêves de la nuit qui achevait de se dissiper de son corps, est à mettre en rapport avec celle d'autres médiumniques que l'exposition d'art brut tchèque montée par Alena Nadvornikova nous avait fait découvrir il y a quelques années à la Halle Saint-Pierre. On a beau jeu de décrire ses plantes comme porteuses de sensualité, comme on le dit aussi pour les fleurs charnues et ruisselantes de jus mystique d'une Séraphine Louis, mais on peut tout aussi bien se contenter de souligner le raffinement graphique de ses lignes et de ses doux tons. Le raffinement seul...


Galerie Christian Berst, 3-5, passage des gravilliers 75003 paris | mardi > samedi 11h > 19 h | +33 (0)1 53 33 01 70 | contact@christianberst.com


LaM de Villeneuve-d'Ascq, "Corps subtils", expo d'art brut et d'art indien à partir de la collection de Philippe Mons

    Là, c'est prévu pour aller du 8 juin au 20 octobre. Enfin une expo d'art brut au LaM qui depuis sa réouverture avec une extension des bâtiments pour présenter leur nouvelle collection d'art brut essentiellement basée sur la donation de l'association l'Aracine a adopté un rythme assez tranquille. Il ne fallait en effet pas s'attendre au même dynamisme que celui pratiqué à la Collection de l'Art Brut à Lausanne. Le LaM, c'est sur un même front de l'art moderne, de l'art contemporain, et de l'art brut. Donc, leurs grandes expositions, leurs expositions secondaires (celles qui s'intitulent "théma", "Corps subtils" en est une) alternent en fonction des trois départements, au risque de faire oublier tel ou tel, au gré des publics préférant l'un ou l'autre de ces secteurs.

 

serge paillard


     En l'espèce, on a affaire à une proposition de confrontation entre 350 œuvres d'art indien issus de l'art tantrique et des œuvres d'art brut. Voici un extrait du laïus de présentation de l'expo: "Il s’agit de partir à la recherche de cette fusion du moi et du monde que l’on prête autant à la folie qu’à l’expérience mystique, autant à des œuvres relevant de l’art tantrique que de l’art brut. La question est posée d’une « existence esthétique » qui traverserait l’éthique et le religieux comme le champ des créations artistiques. Les œuvres réunies par Philippe Mons forment une fable à même de nous enseigner les liens entre « amour fou » et expérience de fin du monde, « expérience intérieure » et appréhension globale du monde".

Travaux d'aiguille au Musée de la Création Franche, avec Jacques Trovic entre autres

    J'aime beaucoup également les "tapisseries" de Jacques Trovic, qui sont à dire vrai plutôt des fresques brodées. J'ai déjà eu l'occasion de les évoquer lorsqu'il y a eu à Lille l'expo "Sur le Fil" (l'un des commissaires de l'exposition était Barnabé Mons qui collabore également à l'organisation de l'expo précédemment citée, "Corps subtils"). J'étais allé le visiter en compagnie de bons amis qui m'introduisirent auprès de lui dans sa modeste maison d'ouvrier, dans un alignement de corons. La pluie et la grisaille environnante reculaient ce jour-là comme elles le font sans doute perpétuellement devant la couleur et la cordialité de l'ambiance qui régnait chez Trovic.

 

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Jacques Trovic, "tapisserie" représentant une course du Tiercé, tenue et tendue par Jean-Louis et Juliette Cerisier, ph.Bruno Montpied, 2009 (Chez Trovic, quand des créateurs divers de l'art singulier se rendent visite les uns aux autres... Notre médiation n'est-elle jamais mieux faite que par nous-mêmes?)

 

     Le voici qui expose au Musée de la Création Franche à Bègles, en compagnie de deux autres créateurs, Jacky Garnier et Adam Nidzgorski, du 17 mai au 23 juin, c'est déjà commencé donc. On se reporte au site web du musée (tiens, il y a une nouveauté depuis quelque temps, des vidéos tournées par le directeur de l'endroit Pascal Rigeade, qui inaugurent sans doute une collection de témoignages des créateurs ou de leurs proches, actuellement Louis Pelosi (pour Rosemarie Kocsÿ), Marilena Pelosi (rien à voir avec le précédent), André Labelle, André Robillard...).

Bernard Thomas-Roudeix expose à Paris

     Où ranger Thomas-Roudeix? Art singulier, art contemporain (voire même en l'occurrence "expressionnisme contemporain"? L'oeuvre est remarquable, de qualité, intrigante, peintures à l'huile ou céramiques émaillées, comme la statuette ci-dessous, "L'élégance du fumeur" qui fait un pied-de-nez à la diabolisation actuelle des intoxiqués de la nicotine. Il expose actuellement dans une galerie ouverte depuis peu (avril 2013) au pied de la Butte Montmartre. serge paillard,anna zemankova,charles steffen,art brut,art naïf,art singulier,création franche,pierre albasser,environnements naïfs,da costa ferreira,corps subtils,lam,philippe mons,barnabé mons,jacques trovic,jean-louis cerisier,juliette cerisier,bernard thomas-roudeix,éric gougelin,galerie le coeur au ventre

Thomas-Roudeix avec Jörg Hermle et Bernard Le Nen, du 11 mai au 9 juin, à la galerie Art d'aujourd'hui, 8, rue Alfred Stevens, Paris 9e ardt. Tél: 01 71 37 93 51 ou 06 52 34 98 24. Ouvert du jeudi au dimanche 15h/20h.

Eric Gougelin à la galerie Le Cœur au Ventre, Lyon

     Je connais assez mal le travail d'Eric Gougelin dont on m'a rappelé récemment qu'il avait fait un travail sur les momies (un livre aussi je crois) avec Jean-Michel Chesné. Comme moi et les momies ça fait deux, je n'avais pas dû y accorder une grande attention, fuyant un peu le mortifère (ce qui n'a rien à voir avec la poésie du macabre qui me séduit davantage)...

 

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Eric Gougelin

       Mais la Galerie Le Cœur au Ventre, basée dans le Vieux-Lyon dans le quartier Saint-Georges, 5e ardt (27 rue Tramassac exactement, tél 06 86 10 36 70, ouv. du jeudi au samedi de 14h30 à 19h et sur rendez-vous), m'a envoyé un carton annonçant sa prochaine exposition ("Explorations sans voyage") chez eux qui reproduit une très belle image (ci-dessus). Comme une coupe anatomique dans l'inconscient, avec les strates mises à nu de souvenirs, images aperçues et transposées dans le grand mixeur de la mémoire touillée, et puis aussi on songe à un paysage de montagne où la neige se serait déposée aux reliefs, laissant de l'encre ruisseler dans les torrents des gorges rongées par quelque acidité... Je comprends qu'on puisse avoir plaisir à se rouler dans une telle efflorescence. Alors, j'oublie les momies...

24/05/2013

Un magnifique livre d'Anna Pravdova sur Jan Krizek

    C'est une œuvre pie que vient de publier Anna Pravdova à Prague, République tchèque, un magnifique livre d'art sur Jan Křížek édité par les bons offices de la Narodni Galerie de Prague (la Galerie Nationale). On aurait pu croire en effet l'œuvre et la vie de cet artiste extraordinaire en bonne voie d'oubli total tant les aléas de la vie, les persécutions policières, les conditions politiques défavorables (en Tchécoslovaquie en 1948 avec l'avénement du stalinisme, comme en France avec ses lois hostiles aux étrangers), la misère économique avaient conspiré dans son cas à l'empêcher de rester dans nos mémoires, et au point aussi de son vivant à le pousser à cesser de créer dans sa discipline préférée, la sculpture¹.

 

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Couverture du livre d'Anna Pravdova ; le dessin qui l'illustre provient du 3e de couverture de la plaquette rédigée par Michel Tapié en 1948 et édité par L'Art Brut et les éditions René Drouin à Paris (voir ci-dessous); le sous-titre, je parierai avec un peu de jugeotte et l'aide de Google traduction que cela peut se traduire par la phrase de Křížek que cite Anna Pravdova: "Chez moi, l'homme ne doit pas disparaître" (à propos entre autres de la volonté de l'artiste de ne pas abandonner la figure humaine dans sesœuvres)

 

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Couverture de la plaquette écrite par Michel Tapié en 48 à l'enseigne de l'Art Brut et de la Galerie René Drouin, coll. BM ; le dessin de couverture a été aussi repris sur le 4e de couverture du livre d'Anna Pravdova, soit à rebours de cette plaquette

 

    Avec ce livre qui vient de sortir en République tchèque, voici désormais qu'un véritable monument rétablit en quelque sorte la balance... Un véritable exploit, le livre est très beau, richement illustré d'oeuvres pour la plupart inconnues, et vraisemblablement très complet. J'écris "vraisemblablement" car il est bien entendu publié en langue tchèque (ce qui fait que moi qui suis plutôt monolingue je ne peux que faire confiance à la rigueur, déjà réputée, d'Anna Pravdova, épaulée par ailleurs dans cet ouvrage par un texte extrêmement documenté de Bertand Schmitt sur les rapports Křížek/art brut/surréalisme), un résumé en français et en anglais essayant à la fin d'éclairer de façon parfaitement condensée les lecteurs non slavophones sur le contenu du livre ².

 

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Jan Křížek, 172 x 32 x7,5 cm, bois de chêne, 1956, Musée des Beaux-Arts de Brest métropole océane

      Au même moment que sort le livre, une exposition KřížekJan Křížek (1919-1985) a umělecká Paříž 50 let, organisée par la Galerie Nationale de Prague (avec la collaboration du Musée des Beaux-Art de Louny, ville natale de l'artiste, et de l’Institut français de Prague) et prévue du 31 mai au 29 septembre, est en cours d'installation au Manège du Palais Wallenstein à Prague (Valdštejnská jízdárna), avec Anna Pravdova en commissaire d'exposition. Ce sera l'occasion d'y voir plus de 300 oeuvres de Křížek, ainsi que celles d'autres d'artistes fréquentés par lui dans ses années parisiennes durant l'après-guerre (il fit également des séjours dans d'autres régions de France, par exemple du côté de Vallauris en 1949 où Picasso l'aida pour trouver du travail à sa femme chez les potiers et où il put faire des essais de céramiste ; il fit un séjour en Bretagne du côté d'Argenton et de Ploudalmézeau dans la famille Jaouen). Diverses collections tchèques ont été bien entendu mises à contribution mais des prêts ont été également consentis par des collections françaises, le Musée de la Cohue à Vannes, les FRAC Limousin et Bretagne (assez riches en Křížek), le Musée des  Beaux–Arts de Brest, la Collection ABCD. Voir en note 3 le découpage de cette exposition que m'a transmis avec beaucoup d'amabilité Bertrand Schmitt.

 

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Jan Křížek, argiles du FRAC Bretagne (la plus haute faisant 25 cm), reproduites dans le livre d'Anna Pravdova

 

     Seul regret, il paraît impossible de se procurer le livre si l'on ne voyage pas jusqu'à la République tchèque. Alors, c'est peut-être une idée de vacances pour cet été?...

 

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Jan  Křížek, 50,8 x 27,4 cm, 1958,œuvre reproduite dans le livre d'Anna Pravdova

 

    Je l'ai déjà dit, Křížek a pu au début de sa carrière artistique être adoubé à la fois par la Compagnie de l'Art Brut, alors animée par Michel Tapié, à qui Dubuffet avait laissé les clefs du "camion", lui-même voyageant au même moment en Tunisie (à la poursuite d'un art simple et authentique lui aussi), et par les surréalistes, auprès desquels il fut défendu par Charles Estienne, critique d'art qui avait passé du soutien à l'art abstrait, perçu comme évoluant vers un académisme, à celui du tachisme. Dans le cas de l'art brut, Tapié avait cru voir une analogie entre les sculptures de Křížek et celles des "Barbus Müller" qui occupaient alors le petit local souterrain de la galerie René Drouin. Křížek n'avait pourtant rien du profil exigé pour faire partie de l'art brut (il était pétri de culture artistique, cherchant comme Slavko Kopac, ou Jean Dubuffet, voire comme plusieurs autres artistes de cette période d'après-guerre, à rebâtir sur des terrains vierges, à retrouver les sources du geste créatif primordial ; il s'orientait en ce qui le concerne davantage du côté des cultures archaïques telles que les cultures romane, ou grecque, ou encore crétoise, sumérienne, voire précolombienne ; il cherchait à exposer, n'ayant pas nécessairement besoin d'un médiateur pour se faire connaître comme c'est toujours le cas au contraire dans l'art brut où les créateurs concernés se fichent totalement de leur "communication" et de leur commercialisation possible, se contentant d'œuvrer dans le secret, soumis à des pulsions de création irrépressibles).

 

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Jan Křížek, photo d'atelier à Paris dans les années 50, reproduite dans le livre d'Anna Pravdova

 

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Jan Křížek, peinture et collage, 25,5 x 27,5 cm, reproduit dans le livre d'Anna Pravdova

 

 

      Il y eut aussi contact entre Křížek et le surréalisme. Revient souvent quand on parle de ces rapports l'évocation de la correspondance avec André Breton publiée par le Musée de la Cohue à Vannes et le FRAC Bretagne à l'occasion de l'exposition des oeuvres de l'artiste en 1995 à la galerie du TNB à Rennes et et au musée de Vannes (cette correspondance est reprise en tchèque dans le livre d'Anna Pravdova). Křížek y incitait le surréalisme à être plus franchement irrationnel dans sa pratique et son vécu de l'automatisme, porte ouverte sur le "Merveilleux", sa lettre du 12 février 1959 à Breton paraissant dans un premier temps lui adresser des reproches directement (ce dernier, dans un courrier très réactif du 14 février suivant s'en défendit, avec raison, arguant à propos de l'usage de l'automatisme: "Si quelqu'un, sans céder à aucune pression, s'est opposé à toute domestication des forces ainsi libérées, c'est moi, les textes abondent pour en témoigner". La critique de Křížek était en effet un peu maladroite). Dans une autre lettre du 28 février, toujours adressée à Breton, Křížek exprima en une phrase un aspect essentiel de sa quête d'alors, phrase qui permet dans les dimensions de cette modeste note d'éclairer assez bien le personnage et sa recherche: "Est-ce que vous ne croyez pas que nous pourrions y trouver [dans "l'opération qui tend à restituer le langage à sa vraie vie"] un vrai homme, l'homme prémégalithique, un ancêtre de Taliesin qui serait super lucide et super responsable, un homme totalement irrationnel, constitué essentiellement par la "matière première" où "le parler et dire" (la peinture et la sculpture) n'étaient pas encore séparés?". Toutes proportions gardées bien sûr, sur le Poignard Subtil, nous aussi sommes toujours en quête de ce "vrai homme". Il y a du travail...

 

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Œuvre de Jan Křížek reproduite dans le livre d'Anna Pravdova, 15 x 60 cm

 

 ______

¹ Je me suis fait l'écho sur ce blog de son départ, à lui et sa femme Jirina Křížková sur la Corréze en 1962 où, devenus réfugiés politiques et pourvus d'un titre de séjour (comme me l'a précisé récemment par courriel Bertrand Schmitt), et non pas "sans papiers" comme je l'écrivis un peu vite, ils vécurent d'apiculture et de divers travaux agricoles dans une petite cabane construite par eux près de Goulles, Křížek ne sculptant plus, hormis en "deux dimensions", c'est-à-dire en dessinant les esquisses de statues possibles (le dessin étant pour lui une autre forme de sculpture, davantage que la peinture) - il ne sculpta plus qu'une fois, exceptionnellement, pour l'anniversaire des 50 ans de sa femme, quand il réalisa une pièce à seule fin de lui prouver qu'il pouvait toujours y arriver ; en effet durant ces vingt années d'éloignement du monde de l'art, il se contentait de penser les sculptures qu'il pourrait tailler. Voir ma note du 1er mars 2012 sur ce blog qui évoque le legs de 900 œuvres (230 linogravures, quelques toiles, des dessins, aquarelles, encres, gouaches, des services à thé et bougeoirs en argile peint, donc non cuits semble-t-il, certains étant reproduits dans le livre d'Anna Pravdova). De 1962 à 1985 date de sa mort, il "régla son problème" avec l'art comme il disait, coupant les ponts avec ses anciennnes relations artistiques parisiennes. En 62, en quittant dans le dénuement Paris avec sa femme, il avait dû récupérer les statues qu'il avait laissées à la galerie Craven qui déménageait de Paris. Ne pouvant les stocker nulle part, il dut les briser à coups de marteau.... Dans le livre d'Anna, on trouvera des photos extrêmement touchantes de l'intérieur de la maisonnette en bois du Bartheil, près de Goulles, avec des œuvres sans doute anciennes que Křížek avait conservées accrochées en haut des murs de planches, photos si nettes qu'on se croirait invités chez les Křížek de leur vivant... Et, ma foi, si l'ambiance paraissait modeste, elle était en même temps parfaitement sereine et baignée de poésie pure.

 

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Jan  Křížek, cette sculpture datée 1978, de 39,5 x 15 cm, déposée au Musée du Cloître de Tulle, reproduite dans le livre d'anna Pravdova, est probablement la sculpture exceptionnelle que fit Křížek pour l'anniversaire de sa femme à une époque où il avait cessé de pratiquer la sculpture autrement que de façon purement spéculative 

 

² Anna Pravdova et Bertrand Schmitt avaient déjà publié dans Recoins n°3, à l'été 2009, un article intitulé "Jan Křížek, sculpter en deux dimensions". Toujours disponible chez Recoins, 23, rue Charles Fabre, 63000 Clermont-Ferrand.

³ Voici les renseignements fournis par Bertrand Schmitt concernant l'exposition citée ci-dessus: "Elle suit un parcours chronologique, construite et articulée en plusieurs chapitres", me dit-il. Sans entrer dans les détails, on peut citer ces différentes parties. Il y a « De Rodin au tachisme » (pour évoquer les premiers temps de l'oeuvre  křížékienne (1938-1945). Puis... « A la recherche de "l’unité perdue", le travail de Jan Křížek avec Václav Boštík »(1939-1945). « Autour du Foyer de l’Art brut » (1946-1948 ; cette partie se divise en deux, la première reconstituant - de façon inédite, je pense... - l'expo initale de l'art brut dans le sous-sol de la galerie Drouin en octobre 47, avec des œuvres prêtées par la collection ABCD, d’Aloïse, de Wölfli, de Miguel Hernandez, de Fleury-Joseph Crépin, de Henri Salingardes, et de plusieurs Barbus Müller, et une seconde sous-partie consacrée à l'expo personnelle de Křížek au Foyer de l'Art Brut en février 48). Ensuite, on trouve le chapitre « Avec les potiers à Vallauris » (1948-1949 ; trois œuvres de Picasso qui aida l'artiste à créer avec le potier Roger Picault sont exposées dans cette section ; comme ce fut évoqué par Catherine Elskar et Marie-Françoise Le Saux dans le catalogue de la Cohue en 95, il n'est pas absurde de relever une parenté entre les graphismes de Křížek et ceux de Picasso, ainsi que d'autres peintres qui s'adonnèrent aussi à la sculpture comme Miro et Matisse).  Chapitres suivants, « Le travail de laboratoire à Paris» (1949-1952 ; après avoir été chassés par la police de Vallauris), et « Avec Charles Estienne », (1953-1955). Un "Jardin de sculptures" sera présenté, avec des grandes statues et d'autres œuvres "réalisées à Gordes dans la maison de Charles Estienne en 1955, ou en Bretagne chez les Jaouen, lorsqu’à l’instigation de Pierre Jaouen, Jan Křížek et son épouse purent rester dans une petite maison de la famille à Kersaint, puis dans la maison des parents Jaouen à Ploudalmézeau durant l’été 1956" (Bertrand Schmitt). Des grands dessins créés entre 1957 et 1961 seront accrochés à côté de ce "jardin", ainsi qu'un grand panneau présentant les quelques toiles de Křížek, "parfois mises sur châssis ou toiles de chiffon, toiles de jute". L'exposition se terminera sur un espace évoquant les vingt dernières années de l'artiste reconverti en apiculteur, ne dessinant plus que des croquis "spéculatifs" pour vérifier qu'il pourrait encore sculpter, dessins qu'il détruisait la plupart du temps, selon Anna Pravdova et Bertrand Schmitt.

Merci à Anna Pravodva et Bertrand Schmitt pour leur aide et leurs autorisations à publier certaines reproductions du livre.

 

 

18/05/2013

Diderot inventeur de l'art brut ? par Emmanuel Boussuge

Diderot inventeur de l’art brut ?

 

     Céline Delavaux ayant repéré chez Diderot une occurrence ancienne où était associé l’adjectif « brut » au substantif « art »[1], l’ami Bruno Montpied m’a demandé ce que j’en pensais, avec sans doute cette question derrière la tête : se pourrait-il que Diderot ait eu quelque chose à voir avec l'invention du terme d’art brut ?

    Se reporter au texte permet d’emblée de répondre par la négative. Diderot ne parle pas d’art brut mais des « arts bruts » au pluriel et ce qu’il entend par là est bien éloigné de ce que Dubuffet placera sous le vocable, n’importe quelle définition ou non-définition donnée par lui que l’on considère. Voilà la proposition dans laquelle se trouve l’expression :

    « À l’origine des sociétés on trouve les arts bruts, le discours barbare, les mœurs agrestes »[2]

     Elle se trouve dans un fragment de ses œuvres esthétiques intitulé De la Manière, que l’on associe généralement au Salon de 1767 (quelquefois à celui de 1765). A travers ses divers écrits, Diderot distingue deux emplois du terme de « manière », un neutre et un péjoratif, mais dans le tout début de ce texte, là où figure notre citation, seule l’acception dépréciative, qui fait du mot l’équivalent de « maniérisme », est envisagée. Comme l’a bien remarqué Céline Delavaux, la vitupération de cette manière maniériste par Diderot n’est pas sans analogie avec les invectives de Dubuffet sur le même sujet.

     Evoquant le moment historique correspondant au développement de ce funeste maniérisme, Diderot écrit :

    « Bientôt les mœurs se dépravent ; l’empire de la raison s’étend ; le discours devient épigrammatique, ingénieux, laconique, sentencieux ; les arts se corrompent par le raffinement. On trouve les anciennes routes occupées par des modèles sublimes qu’on désespère d’égaler. On trouve des poétiques. On imagine de nouveaux genres. On devient singulier, bizarre, maniéré. D’où il parait que la manière est un vice d’une société policée où le bon goût tend à la décadence »[3].

       Comme chez Dubuffet, la mauvaise imitation est ici conspuée et ses tenants font figure de « singes »[4] appliqués à copier des modèles ayant perdu toute vigueur. Une grande différence éloigne cependant la perspective de Dubuffet de celle de Diderot. Chez le premier, l’art brut s’oppose de façon binaire aux arts culturels. Chez Diderot, les « arts bruts » s’inscrivent dans un processus à trois temps. L’énergie qu’ils manifestent s’oppose certes heureusement aux maniérismes des périodes entrées en décadence sur les plans esthétiques et moraux par excès de raffinement, mais ils ne sont qu’un premier moment précédant et préparant le moment le plus important, celui d’une apogée correspondant à une forme de classicisme. Le tout est intégré à une conception cyclique de l’histoire où une fois le processus de civilisation engagé, phases d’aboutissement et phases de décadence se succèdent inexorablement. Citons maintenant notre première phrase dans son intégralité :

      « A l’origine des sociétés on trouve les arts bruts, le discours barbare, les mœurs agrestes ; mais ces choses tendent d’un même pas à la perfection, jusqu’à ce que le grand goût naisse. Mais ce grand goût est comme le tranchant d’un rasoir sur lequel il est difficile de se tenir. Bientôt les mœurs, etc. »[5]

      Le grand goût dépasse donc le pur primitivisme des « arts bruts ». Il relève d’une élaboration liée à l’imitation d’une belle Nature et exprime le Vrai par cette médiation. Un pas de plus vers la sophistication et le grand goût dégénère : on n’imite plus alors la Nature, mais les chefs d’œuvre qui l’ont d’abord copiée avec bonheur, puis les imitations de ces copies, etc. On décompose bientôt le processus de création en préceptes qu’on livre sous formes de recettes desséchées (dans les poétiques par exemple). Les artistes n’ont plus que deux voies devant eux, deux voies également déplorables : celle du conformisme moutonnier ou celle d’une fausse originalité se démarquant de règles purement formelles et perdant toute référence au monde extérieur.

       Face à l’affadissement généralisé qui en résulte, Diderot apprécie comme un puissant antidote l’énergie primitive prêtée à l’état antérieur à la séparation des fonctions sociales. « Les arts bruts » correspondent à l’expression de ce moment historique premier, qu’il ne faut jamais complètement perdre de vue. « La poésie veut quelque chose d'énorme, de barbare et de sauvage » (Discours sur la poésie dramatique, 1758), dit une de ses formules les célèbres. Dans les Essais sur la peinture (1766), il réclame encore « quelque chose de sauvage, de brut, de frappant et d’énorme »[6] pour les arts d’imitation. On voit bien quelles affinités il y a là avec la conception romantique de la création, qu’une telle position annonce et dont la notion d’art brut dérive in fine, après bien des étapes. Les différences avec ce dernier, sans grande surprise à presque deux siècles de distance, sont aussi nettement apparentes sans qu’il soit nécessaire, je crois, que j’insiste au-delà. Il y aurait là de quoi te décevoir, cher Bruno, mais, mais, mais… attends un peu.

       Il y a un autre point qui mérite sans doute ton attention et qui n’a pas été, je crois, relevé jusqu’ici. Si Diderot n’est pas l’inventeur de l’art brut, il nous a en revanche donné une des premières descriptions de la production d’un créateur que l’on peut ranger sans problème du côté de l’art brut ; peut-être est-ce même la première description d’un créateur bien individualisé (quoiqu’on ne connaisse pas son nom) de ce type[7]. En 1759, en séjour dans sa ville natale de Langres, Diderot évoque en effet un sculpteur extrêmement original :

      « Nous avons ici un prodige, écrit-il à son ami Grimm, à comparer à votre découpeur de Genève [Jean Huber (1721-1786), célèbre pour ses charmantes découpures en silhouette[8]]. C’est un jeune homme de mes parents qui sans leçon, sans dessein, sans principe, s’est mis de lui-même à modeler. Vous verrez ce qu’il sait faire ! Tous vos statuaires de Paris fondus ensemble n’imagineraient pas les mines qu’il exécute ; et ces mines, sont, comme il lui plaît ou comiques, ou voluptueuses, ou nobles. Ce sont ou des satyres, ou des chèvres, ou des vierges. Mais il a le coup de hache. Quand il a passé quinze jours à façonner un morceau d’argile avec les bâtonnets qui lui servent d’instruments, il le regarde, il s’applaudit et le jette par la fenêtre. J’en ai ramassé deux que je vous porterai à Paris si je puis. Je ne crois pas me tromper, ils sont charmants, mais si délicats que je ne me promets guère, quelque précaution que je prenne, que de vous en montrer des morceaux »[9].

       Malheureusement, on ne sait pas si les sculptures récupérées par Diderot sont arrivées à bon port, encore moins ce qu’elles auraient pu ensuite devenir. Mais la caractérisation du personnage nous amène bien du côté de l’art brut. Sans aucune culture artistique institutionnelle comme il se doit, le jeune homme semble aussi avoir un grain. C’est précisément le sens de l’expression « avoir le coup de hache », que les dictionnaires de l’époque définissent ainsi : « on dit figurément et familièrement qu'un homme a un coup de hache à la tête, et simplement, qu'il a un coup de hache, pour dire, qu'Il est un peu fou »[10]. Il n’est pas jusqu’au dédain du sort des productions par le créateur et les dilemmes relatifs à leur conservation en résultant qui ne nous rappelle le champ de l’art brut (et formes apparentées) et les débats que cultivent ses amateurs.

       Trouvera-t-on quelque obstiné chercheur qui se lancera à la recherche de ce grand ancêtre ? Il serait vraiment extraordinaire que la moindre production du jeune Langrois au coup de hache ait été conservée, mais maintenant que l’on a identifié sa piste, on peut toujours creuser et sait-on jamais...


Emmanuel Boussuge



[1] Céline Delavaux, L'Art brut, un fantasme de peintre. Jean Dubuffet et les enjeux d'un discours, Paris, Palette, 2010, p. 196.

[2] Diderot, Œuvres complètes, t. XVI (Beaux-arts III), Hermann, 1990, p. 529.

[3] Ibid., p. 530.

[4] Le mot apparait aussi bien dans le texte de Diderot (ibid., p. 530) que chez Dubuffet, « Honneur aux valeurs sauvages » (1951), cité par C. Delavaux, p. 197.

[5] Op. cit, p. 529-530.

[6] Hermann, 1994, p. 56.

[7] C'est peut-être la "première description" d'un cas de création autodidacte proche de ce que l'on appellera au XXe siècle l'art brut, mais il faut souligner qu'existèrent plusieurs cas de créateurs atypiques bien avant ce sculpteur langrois. Par exemple au XIVe siècle un dessinateur étrange s'illustra en composant un codex délirant, conservé de cette époque jusqu’à aujourd’hui à la bibliothèque vaticane à Rome. Il s'agissait d'un moine italien vivant à la cour des papes en Avignon, Opicinus de Canistris, qu’un ouvrage du Docteur Guy Roux et de Muriel Laharie, Art et Folie au Moyen Age (éditions Le Léopard d’Or) a fait amplement connaître en 1997, bien après l’étude américaine d’Ernst Kris de 1952 qui elle-même suivait un livre de R.Salomon de 1936, qui semble la première occurrence où apparut le dit Opicinis. Dans ce même XVIIIe siècle, existait également l'extraordinaire sculpteur aux expressions frénétiques Franz-Xaver Messerchmidt dont un livre de R.Nicolai vers 1770 évoqua la maladie mentale. (Note Bruno Montpied)

[8] Jean Huber n’est pas à proprement parler un artiste populaire. Nicolas Bouvier montre bien cependant la parenté entre ses productions qui ravissait « la société patricienne, lettrée et cosmopolite » de la cité genevoise du XVIIIe siècle et celles des découpeurs de lettres d’amour, ses contemporains plébéiens, ou « la magnifique floraison de papier découpé, cinquante plus tard, dans le pays d’Enhaut (Vaud) » (L’Art populaire en Suisse, Zoé, Carouge-Genève, 1999, p. 186-203.

[9] Lettre du 12 août 1759, Correspondance (éd. Georges Roth), Éditions de Minuit, t. II, 1956, p. 208-212 ; p. 211 pour la citation.

[10] Dictionnaire de l’Académie, 1762. Littré indique un autre exemple de Diderot intéressant à mettre en parallèle : « Les grands artistes ont un petit coup de hache dans [ou à selon les variantes] la tête » (Salon de 1765, Hermann, 1984, p. 178). Artistes et folie, un bien vieux couple !

12/05/2013

André Robillard parle... dans un livre de Christian Jamet

    J'ai évoqué il n'y a pas très longtemps le monument qu'on s'apprête à ériger du côté d'Orléans d'après un "fusil" d'André Robillard. Le hasard (?) veut que soit paru en mars dernier un ouvrage de Christian Jamet intitulé André Robillard, l'art brut pour tuer la misère chez Corsaire éditions, maison à orientation régionaliste établie dans la même ville du Loiret.

 

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Disponible dans toutes les bonnes librairies comme on dit et d'abord, à Paris, à la librairie de la Halle Saint-Pierre


     Un avertissement ouvre le livre: "Les propos d'André Robillard rapportés dans cet ouvrage ont été retranscrits tels qu'ils ont été entendus afin de ne pas altérer la nature de l'expression, exigence indispensable à la vérité d'un autoportrait. Quant aux photos qui accompagnent le texte, elles correspondent, pour la plupart, à des instantanés et n'ont d'autre ambition que de montrer l'artiste dans l'étonnante fantaisie d'un univers dont il est inséparable. Qu'André Robillard soit ici chaleureusement remercié de son accueil et de sa coopération". Comme on le voit, ces lignes prenent valeur de programme. Les intentions se veulent respectueuses du personnage. Seuls pourraient être disputés deux termes, "autoportrait" et "artiste".

 

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Un fusil d'André Robillard, coll. Alain Garret


      Si l'auteur du livre est avant tout Christian Jamet qui mène l'entretien, intitulé "André Robillard par lui-même" (qu'il introduit par une présentation de son cru), et qui le fait suivre d'un chapitre où il explique plutôt de façon rigoureuse le concept d'art brut de Jean Dubuffet, on ne peut tout à fait parler ici d'un "autoportrait", qui supposerait que celui qui s'autoportraiture est seul initiateur du projet. Or, on est venu chercher Robillard pour l'aider à se peindre, au moyen d'une interview, de reproductions de ses dessins, de ses assemblages, de photos de son cadre de vie, de divers documents. Cela est fait avec un respect indéniable, mais il reste qu'il y a cependant eu nécessité de la présence d'un médiateur. Ce qui fait une différence avec les "artistes" patentés qui peuvent se passer de tierces personnes pour faire leur promotion.

 

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Autre pétoire du sieur Robillard, coll. Alain Garret.


     Ceci m'amène à critiquer une fois de plus l'usage du mot "artiste" appliqué à ce genre de créateur. Certes, Robillard lui-même emploie le terme en se l'appliquant, dans son savoureux langage. Il le fait un peu à la manière d'Arthur Vanabelle, cet autre créateur, paysan en l'occurrence, qui répond à mes questions dans le film Bricoleurs de Paradis (le Gazouillis des Eléphants)  qu'il est un "artiste", "qu'on est tous des artistes...", et même qu'il fait "de l'art brut"... Il dit cela parce qu'on le lui a seriné de partout autour de lui ces dernières années. Le département d'art brut du LaM dans ce même Nord a envoyé des émissaires relever les plans de son installation, ses canons, son tank... Il se saisit du terme comme s'il le recyclait, à la façon du recyclage des matériaux divers qu'il a toujours récupérés durant sa vie pour ses assemblages. Les hommes du peuple se foutent pas mal des questions de copyright, ils "empruntent" et absorbent, digèrent le tout et vous le restituent à leur sauce... C'est classique quand on étudie un tant soit peu les créateurs populaires des bords de routes et les "bruts". Robillard ne déroge pas à la lettre. Avec le matraquage actuel du terme "artiste" à propos des auteurs d'art brut, comment voudriez-vous que Dédé (pour les intimes, dont je ne suis pas cela dit) puisse y déroger? D'autant que le mot désigne aussi, à côté d'un rôle et d'une fonction sociale particuliers, quelque peu séparés du reste de la population (sorte de caste plus ou moins d'élite, ou tout au contraire maudite, en tout cas séparée), l'action de créer quelque chose de beau ou d'expressif, d'émouvant.

     En l'espèce, je reste attaché pour désigner ces personnages aux caractères bien trempés aux termes "d'auteurs" ou de "créateurs" d'art brut. Ne pas le faire est à mes yeux diffuser un écran de fumée confusionniste intéressé à occulter la dimension révolutionnaire qui est faite dans l'usage de la production de cet art, se passant du statut d'artiste.

         Ces réserves une fois faites, je ne saurais trop encourager mes lecteurs à se procurer le livre d'entretien de Christian Jamet qui dans un espace resserré (le livre se lit dans un souffle) parvient à dresser un portrait vivant d'André Robillard, créateur ô combien atypique en dépit des sauces diverses avec lesquelles on tente de l'accommoder depuis quelques années, surnageant toujours avec brio de cette cuisine!

 

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Photogramme du film de Claude et Clovis Prévost Visites à André Robillard, 2007


01/05/2013

L'art brut manipulé, le soi-disant monument d'André Robillard

     On sait que depuis un bon moment le sculpteur-assembleur-dessinateur André Robillard classé dans l'art brut participe avec bonne volonté à des expériences théâtrales et musicales qui l'ont embringué dans des spectacles où, en définitive, il apparaît comme un faire-valoir pour des artistes et comédiens qui sans lui auraient certainement moins fait parler d'eux (la compagnie les Endimanchés).

       Cela semble avoir donné des idées à d'autres, en l'occurrence au Centre Hospitalier Daumézon (où fut hospitalisé et où travailla Robillard près d'Orléans), à la DRAC et au FRAC Centre qui lancent un appel au public pour trouver le financement de ce qu'ils appellent improprement "une œuvre monumentale d'art brut d'André Robillard". "Improprement", dis-je, car Robillard ne participera nullement à l'érection de ce monument, qui affectera plutôt d'être une copie monumentale d'un de ses célèbres fusils (si l'informateur qui m'a indiqué cette opération s'avère bien informé...). Ce sont des techniciens spécialisés dans la construction de ces monuments qui devraient s'en charger... J'entends même dire par ce même informateur qu'un des responsables de l'opération aurait confié: "André pourrait se blesser" (sous-entendu, en faisant ce monument...).

 

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Je diffuse ici l'annonce de la souscription par souci d'information objective, chacun se déterminera comme il l'entend ; en ce qui me concerne pas question d'aider à un tel projet

    Alors, faut-il "donner pour l'art brut", comme le proclame le laïus du papillon ci-dessus ("papillon" c'est aussi joli, sinon plus, que "flyer", vous ne trouvez pas?), ou plutôt donner pour l'art contemporain de commande (qui se fait payer 60 000 €, y en aura peut-être des miettes pour Robillard, faut espérer...?)? On peut après tout considérer le projet comme un monument d'hommage à André Robillard, mais certainement pas comme la "première commande publique d'une œuvre monumentale d'art brut" comme il est dit dans le premier laïus ci-dessus.

 

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André Robillard, une collection de fusils accrochés dans le département d'art brut au LaM de Villeneuve d'Ascq, ph. Bruno Montpied, avril 2011

 

     Le problème est que le propos reste singulièrement confus. Car pour qu'il y ait véritablement un monument d'art brut, il ne faudrait déjà pas qu'il y ait une COMMANDE à la base. J'ai presque envie de fredonner du Brassens, "la bandaison, Papa, ça ne se commande pas...". L'art brut ne naît pas dans les lits qu'on prépare pour lui. C'est un peu du chiendent, l'art brut. Alors que penser de tout cela? N'est-ce pas une énième tentative de rabattre le couvercle de l'art contemporain que d'aucuns veulent à tout prix mixer avec l'art brut en lui faisant porter les mêmes chapeaux, les mêmes couvercles? C'est ce que je crois.

      C'est commode, avec Robillard qui est un brave type qui consent  à tout, on peut tout lui faire valider. L'art brut plus généralement c'est même le terreau idéal, l'argile que l'on peut remodeler à volonté. On peut tout leur faire faire. Il paraît aussi que dernièrement, d'après les modèles de Robillard on aurait diffusé des fusils, dans son style tout en assemblages, en kit, oui vous avez bien lu, en kit – j'espère que c'est seulement une rumeur ou un bobard mal intentionné! – avec ce kit, l'acheteur pouvait se reconstituer, à la manière de, un fusil entièrement made by Robillard, avec les boîtes de conserves, l'adhésif de couleur, des bouts de tuyau, les crosses toutes découpées selon le même calibrage, tout le toutim robillardesque. Je rêve...

 

23/03/2013

Fictions d'art brut à l'INHA et monstres de Josep Baqué aux enchères

     Pourquoi lier ces deux événements, d'une part la nouvelle rencontre du 30 mars prochain proposée  à l'INHA entre le CrAB et le collectif Marco Decorpéliada, et d'autre part la vente aux enchères de plusieurs lots de dessins de Josep Baqué (1895-1967) chez Ader le jeudi 11 avril?

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Josep Baqué, un de ses dessins à la vente aux enchères, site web d'Ader

 

    Peut-être à cause d'un point commun, la présence en arrière-plan de 'pataphysiciens (ou d'Oulipiens, ce qui est souvent la même chose il me semble), Marcel Benabou dans le collectif decorpéliadesque et la "Fond'Action Boris Vian" qui organisa autrefois une expo Josep Baqué, expo probablement en rapport avec l'article remarquable sur ce même personnage de Guy Ciancia et Françoise (ou Francine) Degand paru dans le n°1 de Viridis Candela, correspondancier du Collège de 'Pataphysique en octobre 2007.

 

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Les incroyables dessins de Josep Baqué, Hommes primitifs, vente aux enchères Ader

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Cet autoportrait est extrait du Correspondancier n°1 dont on voit la couverture plus haut 

     Il y a aussi que la rencontre prochaine du CrAB interroge diverses "fictions" qui ont pu se faire passer pour vies de créateurs bruts, avec les cas de Véreux (que je connais très mal), de Juva et ses silex "orientés" (voir ci-contre une reproduction tirée du fascicule de la collection de l'art brut où un chapitre lui est consacré),inha,crab,fictions d'art brut,supercheries,josep baqué,art brut,art immédiat,jusep torrés campalans,max aub,collège de 'pataphysique de Jules Penfac (canular monté par Michel Ragon qui déplut fortement à Gaston Chaissac qui y vit une cabale caricaturale montée aux dépens du rôle d'artiste bouseux qu'on voulait lui faire endosser) et donc de ce "Marco Decorpéliada" (on ne se lasse jamais d'écrire un tel nom). Inventer des auteurs d'art brut est bien sûr une façon d'éprouver le sens critique des amateurs. Si l'on arrive à asseoir la réputation "brute" d'une oeuvre produite par un auteur caché, en réalité habile et pétri de culture, ayant suivi un enseignement artistique qui plus est, on tourne en dérision un des aspects du concept d'art brut, un art surgi du néant, un art sans formation, sans culture. C'est tentant comme on le voit.

      Les 'pataphysiciens ont commis à l'occasion quelques supercheries à ce qu'il me semble (je ne suis pas un spécialiste, et encore moins de leur "Collège"), notamment lorsqu'ils ont fait croire à l'existence d'un certain Julien Torma, poète maudit des années 30 qui aurait dépassé les surréalistes par l'étendue et la portée de sa révolte. Il semble qu'en réalité ce fût Noël Arnaud qui le créa avec l'appui par la suite d'autres membres du Collège. Mais il est vrai que dans leur quête de nivellement des valeurs (ce qui est mon interprétation, eux parlent à propos de 'Pataphysique "d'une science du particulier, d'une science de l'exception"), grâce à laquelle le public ne verrait plus de différences du plus humble des créateurs populaires au plus notoire et reconnu des artistes (et pourquoi pas? au fond, c'est ma recherche personnelle aussi bien), les 'pataphysiciens n'ont jamais créé, à ma connaissance, de faux créateur d'art brut et qu'ils ont plutôt, tout au contraire, documenté de façon régulière plusieurs d'entre eux (Picassiette, l'abbé Paysant, Frédéric Séron, Camille Renault, plusieurs habitants-paysagistes par la plume de Marc Décimo dans ses Jardins de l'Art Brut paru il y a quelques années, etc.). 

inha,crab,fictions d'art brut,supercheries,josep baqué,art brut,art immédiat,jusep torrés campalans,max aub,collège de 'pataphysique      Le Josep Baqué qu'ils ont donc révélé en 2007, dont des dessins se trouvent désormais dans la Collection de l'Art Brut à Lausanne (celui ci-contre est reproduit dans le Correspondancier de 2007), me demandais-je, ne serait-il pas une de leur supercheries? Car c'est trop beau, il s'agit d'un gardien de la paix qui de 1932 à 1950 en Catalogne espagnole, à Barcelone, donc pendant la guerre civile notamment, aurait dessiné en cachette 1500 dessins montrant des monstres, des animaux improbables, des "hommes primitifs", le tout décliné en série comme dans les planches zoologiques ou botaniques, et avec un style étonnamment moderne (c'est-à-dire vraiment très proche de nous)...

 

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Couverture du livre de Max Aub publié en traduction (adaptation d'Alice et Pierre Gascar) chez Gallimard en 1961

 

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Le petit "catalogue d'exposition" inséré dans le livre d'Aub, avec un portrait imaginaire, un photomontage d'un côtoiement également imaginaire de Campalans avec Picasso (ci-dessous)

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       Sur le moment, j'avoue avoir pensé à une autre supercherie, celle qui fut fomentée par l'écrivain espagnol Max Aub, qui inventa un peintre nommé Campalans, lui aussi catalan, qui aurait connu Picasso à Paris, pour qui il inventa tout, une vie, une œuvre (avec des illustratons reproduites dans son livre), le présentant au début de son ouvrage comme retrouvé par hasard au Mexique... Mais finalement il semble que non, ce ne soit pas une supercherie, il y a un petit-neveu, une collection complète de dessins qui passe bientôt sous le feu des enchères (à un prix considérable, 100 000 à 150 000€..., peut-être parce qu'il s'agit de 1500 dessins et qu'on ne veut pas les séparer?). Alors? Qui se portera acquéreur de cet ensemble à l'abord fort agréable? Car ces monstres sont fort sympathiques et comme je l'ai dit, très modernes et si proches de notre époque.

 

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Josep Baqué, Planche 164, Poulpe à barbe blanche, reproduit dans Le Correspondancier n°1 

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Josep Baqué, monstre, extrait du site de vente aux enchères Ader

 

Pour acquérir le n°1 de Viridis Candela de 2007, il faut s'adresser (apparemment) à collegedepataphysique@laposte.net ou college.pataphysique@free.fr. Je dis apparemment car il semble qu'il y ait à présent, au moins sur la toile deux Collèges de 'Pataphysique...

 

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Josep Baqué, image sur le site d'Ader

 

24/02/2013

Art brut pour yeux fertiles

     A peine l'expo Guy Harloff décrochée, voici que la Galerie Les Yeux Fertiles, rue de Seine à Paris, enchaîne avec une sélection de créateurs de l'art brut auxquels elle a joint des gens plus artistes, rangés dans ce que l'on appelle chez les Anglo-saxons des Outsiders, et en Suisse de la "Neuve Invention". A propos de cette dernière, on peut toujours se demander d'ailleurs, depuis la période où Lucienne Peiry était conservatrice de la Collection de l'Art Brut, si le terme, et la collection qu'il désignait, sont restés en usage à Lausanne, tant on n'en a plus eu de nouvelles depuis des lustres (au point que j'ai fini par me demander si pour les responsables de la Collection les cas limitrophes de l'art brut n'avaient pas été purement assimilés à la collection princeps).

 

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Carton de l'expo, avec un sublime dessin de Friedrich Schöder-Sonnenstern (c'est toujours séduisant, Schröder-Sonnenstern)

 

    Viendront donc faire un tour sur les cimaises de cette galerie aux sélections semble-t-il toujours exigeantes les créateurs bruts suivants (honneur aux bruts...): ACM (on dirait des ruines de villes irradiées),galerie les yeux fertiles, art brut, art outsider, neuve invention, schröder-sonnenstern, Thérèse Bonnelalbay (une sorte de Michaux brut), Janko Domsic (un Léonard de Vinci exalté), Johan Fischer (un de Gugging il me semble), Eugen Gabritschevsky (un Max Ernst du cellulaire), Madge Gill ( qui faisait de la dentelle avec les esprits),galerie les yeux fertiles, art brut, art outsider, neuve invention, schröder-sonnenstern, Hassan (l'homme aux villas en terrasse, vu récemment au Musée Singer-Polignac), Jakic (à ne pas confondre avec Domsic), Lobanov (l'homme aux pétoires prodigieuses), Dwight Mackintosh (surréaliste dans le gribouillis), Edmund Monsiel (tatoueur sur papier), Raphaël Lonné (ça faisait longtemps qu'on ne  l'avait pas revu), André Robillard (lui par contre...), Schröder-Sonnenstern (donc), Carlo Zinelli (le montreur d'ombres), Scottie-Wilson (clochard céleste), Tschirtner (imprononçable), etc...

(Ci-dessus une oeuvre d'ACM de la collection d'art brut du LaM de Villeneuve d'Ascq, ph. Bruno Montpied en 2011 ; des dessins de Madge Gill présentés dans l'exposition de la collection Eternod-Mermod au LaM en 2011, ph. BM

 

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Cela commence donc jeudi 28 février prochain...

 

     Du côté de la Neuve (oui?) Invention (c'est sûr?), on retrouvera Marilena Pelosi, Le Carré-Galimard (oui, il me semble qu'il n'y a qu'un L), Nedjar, Hipkiss, Chichorro, Chaissac (l'ancêtre de tous les singuliers), etc.

      Une stimulante petite expo en prévision, non? 

23/02/2013

Un lien vers un dessinateur déchaîné

    Un de mes lecteurs m'a donné récemment en privé un lien vers le site d'une librairie intitulée L'amour qui bouquine, qui propose déjà tout un programme rien que dans son titre. Ce site a mis récemment en ligne la découverte récente d'une cinquantaine de dessins qu'elle range à la fois dans ce que l'on appelle les Curiosa, d'un euphémisme chargé de jeter un voile pudique sur des images lestes, mais aussi dans l'art brut. Parce que le dessinateur resté anonyme de ces croquis hauts en couleur d'obsédé conséquent paraît effectivement être un amateur et un autodidacte, ayant peut-être trop regardé divers illustrateurs, la librairie cite à raison Dubout par exemple (qui, s'il avait été l'auteur des dessins en question aurait eu un nom tout à fait prédestinant), ce qui devrait tout de même nous inciter à tempérer cette qualification d'art "brut". 

      Cela daterait peut-être des années 50. Comme je veux sur ce blog rester ouvert au plus large public (des enfants passent parfois par ici, et l'on ne manquerait pas de me morigéner d'importance si je leur soumettais ce genre de vues dites osées), je laisse au lecteur le soin de franchir les différentes portes qui se cachent sous cet amusant lien. (Merci à mon lecteur dont je tais le nom – à moins que ce dernier ne veuille le dévoiler, il me dira...).

PS: On regardera avec intérêt, en outre, les autres notes mises en ligne par l'auteur de ce site et en particulier celle du 27 novembre 2012 relative à 13 pointes sèches érotiques d'un auteur resté anonyme nous dit-on, dont le style s'apparente à celui de l'Armand Goupil dont j'ai déjà plusieurs fois parlé sur ce blog. Si cela était avéré, on tiendrait là une œuvre érotique de la plus belle audace de la part de notre peintre. Notre libraire date ces gravures des années 30-40. Mais rappelons que Goupil créa surtout dans les années 50-60. Les gravures reproduites ne comportent aucune signature, aucun monogramme, alors que Goupil aimait bien laisser ces derniers au bas de ses dessins et peintures au contraire. Mais l'audace du sujet expliquerait facilement qu'il ait préféré laisser ces œuvres chaudes sans en endosser clairement la paternité. 

 

12/02/2013

Sur le catalogue de "La Création Franche s'emballe! (Itinérance d'une collection insoumise)"

     Avec la première exposition prévue pour être itinérante, a priori dans la région Aquitaine aux dernières nouvelles, d'une partie de la Collection du Musée de la Création Franche à Bègles (elle se termine  le 14 février, soit dans deux jours), réalisée en collaboration avec des étudiants en master professionnel Régie des Œuvres et Médiation de l'Architecture et du Patrimoine de l'université talençaise Michel de Montaigne, est paru un catalogue où l'on retrouve une discussion fort instructive à propos du projet qui fut celui de Gérard Sendrey, le principal initiateur du musée.

 

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Portrait de Gérard Sendrey (assez semblable à un clergyman ce jour-là...), sur le seuil du musée de la Création Franche à Bègles, 1997, ph. Bruno Montpied

 

    Je ne ferai pas mystère, moi qui ai toujours été franc avec lui (au point de commencer dans mes tout premiers rapports épistolaires en 1988 – et non pas en 1990, comme il le dit dans la discussion ci-dessus évoquée ; c'est lui qui m'écrivis le premier, le 24 septembre 1988, alors qu'il venait de créer sa galerie Imago dans une petite maison à côté de la mairie de Bègles, il cherchait alors des adresses, des créateurs, ce que je n'hésitai pas à lui fournir sur le champ – au point de commencer, donc, par me disputer avec lui, à deux doigts de nous brouiller même), je ne ferai pas mystère que j'ai toujours trouvé la prose de Gérard extrêmement touffue, labyrinthique et pour tout dire de façon plus abrupte (l'art abrupt, ça existe aussi!), assez lourde en somme. Je ne pense pas que, parmi tous les médiums qui se soient proposés à lui, ce soit dans l'écriture que Gérard Sendrey se sente le plus à l'aise. Par contre, dès que  l'on publie des propos de Gérard, des discussions, des interviews (non trop réécrites par lui), des paroles, on trouve un Sendrey parlant plus clair et franc, ce qui donne une immédiate assise à ses propos. C'est ce qui se passe dans le débat avec divers intervenants qui est publié dans ce catalogue. On  tient là (enfin, serais-je tenté de dire) une véritable profession de foi, faisant office de manifeste et de définition de la création franche, qui pourra servir dans le futur.

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Gérard Sendrey, portrait de Marie, 50x32 cm, 2003, coll. BM

       A bien lire et écouter Sendrey, on comprend que ce terme de Création Franche recouvre un ensemble de créations très variées que l'on ne peut identifier avec l'Art Brut, comme certains dans ce débat tentent de l'instiller (je pense notamment au "maître de conférence" spécialisé en histoire de l'art contemporain à l'université Michel de Montaigne, Richard Leeman, qui pense que l'on devrait utiliser les termes d'Art Brut au sens galvaudé par les journalistes et les ignorants du corpus, de manière à l'appliquer tout uniment à l'ensemble de la collection de la Création Franche : bel exemple de manque de rigueur – on a pourtant affaire à un enseignant). Il insiste aussi sur la distinction nécessaire à faire entre artistes et créateurs, ou auteurs "francs" (cet adjectif signifiant avant tout "libres", "indépendants" pour lui), ce que ses auditeurs ne paraissent pas toujours intégrer du reste... Ce qui n'a rien d'étonnant, étant donné la mode actuelle qui cherche à amalgamer l'art brut, les créations marginales, produits par des personnes extérieures au monde des Beaux-Arts, avec le reste de l'art contemporain produit par des professionnels. Cela Sendrey ne l'évoque pas, se plaçant plutôt... sur un terrain anthropologique disons.

     On sent bien à travers ses réponses aux diverses questions qui lui sont posées que Gérard Sendrey a été préoccupé avant tout de rassembler à côté de sa propre recherche (à la manière d'un Dubuffet dont il est visiblement imprégné mais qui collectionnait des créateurs nettement moins communicatifs), toute une série de créateurs possédés par leur inspiration, créant sans souci impérieux de reconnaissance, des Naïfs, des Surréalistes contemporains, des Bruts, des handicapés mentaux, des personnes écorchées, des auteurs issus des couches populaires, etc. Son projet se rapprocherait davantage d'une vision d'un art outsider que d'un art brut.  Le curseur ne se déplaçant jamais du côté du conceptuel, des vidéastes, des amateurs de performance, de "happenings", etc. parce qu'il reste profondément attaché à la création qui est avant tout plastique. La notion de partage entre l'auteur et le public est également réaffirmée par Sendrey, ce point à lui seul distinguant la création franche de l'art brut, production de personnes nettement plus introverties.

 

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Bruno Montpied, Par la porte des feuilles, 38x46cm (8F), technique mixte sur carton entoilé, 2004, collection du Musée de la Création Franche 

 

     Pour conclure cette note qui se doit de rester circonscrite, je souhaite apporter une précision quant à un faux souvenir qu'il émet page 23 du catalogue (en face d'une reproduction bien sombre d'un tableau à moi faisant partie du musée, voir ci-dessous). Gérard évoque la fondation de la revue Création Franche en 1990 et dit que c'est moi, Joe Ryczko et Jean-Louis Lanoux qui sommes venus le voir pour l'inciter à créer une revue. Il commet ici une erreur à mon avis. Les trois qui l'incitèrent furent plutôt Jean-François Maurice, Ryczko et Lanoux. Je parlais certes, parallèlement, avec lui dans nos courriers depuis nos premiers contacts en 1988 de l'idée de faire une revue sur les arts spontanés (Raw Vision venait d'apparaître dans le monde anglo-saxon, son premier numéro sortit au printemps 89, tandis que je rêvais depuis plusieurs années d'une revue sur les mêmes sujets qui aurait paru en France). Mais les trois que j'ai cités plus haut vinrent le voir sans m'en parler, à part Ryczko (bien que j'aie aidé à mettre toutes ces personnes en contact les unes avec les autres ; contrairement à ce qu'affirme  Sendrey, nous nous connaissions bien tous...). L'un d'eux, comme je m'en suis déjà ouvert dans une note précédente, m'écartait comme un individu difficile à gérer... La revue ne fut pas donc initiée par moi, je refusais de participer aux deux premiers numéros tant que l'individu qui m'évinçait comme membre du comité de rédaction serait directeur de la publication. Ce n'est que lorsque cet individu fut écarté du poste, que j'acceptai de participer à la revue. L'avenir prouva que ma supposée ingérabilité était largement imaginaire. On avait utilisé l'argument, à mon humble avis, par un réflexe de banale et mesquine jalousie.   

26/01/2013

Mes récentes publications (Info-Miettes n°21 bien narcissiques car centrées sur ma pomme)

"Art populaire et art brut, quelques exemples de comparaison", Actes I du séminaire sur l'art brut 2010-2011, dirigé par Barbara Saforova, éditions ABCD, 2012

 Actes I Séminaire B Safarova001.jpg    J'ai participé à ce séminaire qui se déroule dans les locaux du Collège International de Philosophie afin de présenter quelques éléments pemettant de mettre en regard art brut et art populaire insolite. Le but était de tenter de mettre en lumière à quel point, tout au moins pour une bonne part des collections d'art brut de Dubuffet transférées à Lausanne, l'art brut recélait des œuvres dont le style et les sujets étaient visiblement proches ou dérivés, malgré des ruptures, d'œuvres faisant partie des corpus de l'art populaire des campagnes d'autrefois. Comme je l'ai dit (briévement) dans mon intervention (dont le texte est donc paru dans ses Actes I publié l'année dernière), cette couleur populaire des collections était apparente surtout dans les premières décennies de la collection (commencée comme on sait vers 1945).

      Depuis quelque temps, l'art brut tend à être redéfini dans différents travaux, notamment ceux de la directrice de ce séminaire Barbara Safarova, travaux qui insistent sur la dimension transgressive de l'art brut, détachée de tout souci de communication, quasi volcanique, se limitant à la matière pure du signe. Le rapport à la culture, à une présupposée absence de culture (même seulement artistique), est moins abordé désormais. L'aspect sociologique est beaucoup moins présent (l'aspect de démocratie directe dans l'art n'intéresse pas les commentateurs actuels, peu politiques). On se concentre désormais davantage sur le côté anthropologique (comme le fait par exemple dans ces Actes une Céline Delavaux) ou esthétique des productions de l'art brut (voire poétique, comme le fait l'assez délirant Manuel Anceau, toujours un peu à la limite de la voyance).

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Une page d'illustrations de "Art populaire et art brut, quelques éléments de comparaison", intervention de Bruno Montpied, p.77 (de haut en bas et de gauche à droite, Thuilant, Forestier, un anonyme au De Gaulle membré -voir sur ce blog-, Müller et Leclercq)

      Au sommaire de ces Actes I, on retrouve outre mon texte, illustré d'oeuvres comme les autres contributions (le tout édité avec le goût extrême que l'on reconnaît à chaque publication de l'Association ABCD, et je vous prie de croire que je ne leur fais pas de la léche), des interventions de Philippe Dagen sur Marcel Réja, de Céline Delavaux sur une réaffirmation qu'il ne faut pas limiter l'art brut à l'art des fous, de Baptiste Brun qui revient sur la notion d'homme du commun mise en avant par Dubuffet au début de ses recherches d'après-guerre, de Lise Maurer sur Laure Pigeon, de Béatrice Steiner (avec des illustrations montrant d'intéressantes oeuvres – je ne parle pas ici de celles de Serge Sauphar, assez mièvres, mais plutôt de celles d'un Adrien Martias – venues des archives de la section du patrimoine de la Société Française de Psycho-pathologie de l'Expression et d'Art-Thérapie)  et enfin de Manuel Anceau interrogeant "L'art brut: une contre-culture?", mais ne répondant pas vraiment à la question, préférant céder à une dérive au fil de la plume, basculant la plupart du temps en termes abscons et se révélant à d'autres moments capables de traits de lumière, comme dans l'envolée finale de son texte  où il cite une nouvelle de Philippe K. Dick dont le propos devient un beau symbole de ce que peut représenter l'art brut.

Actes I, séminaire sur l'art brut, "De quoi parle l'art brut?", dirigé par Barbara Safarova, 2010-2011, 160 p., 29€, éd.ABCD, sd, 2012. Disponible en vente à la librairie de la Halle Saint-Pierre, à la galerie ABCD, 12, rue Voltaire à Montreuil, et à la Collection de l'Art Brut à Lausanne. Voir également le site d'ABCD. A signaler en outre que la galerie de Montreuil est ouverte en ce moment pour l'exposition "Voodoo Chile" consacrée à J-B.Murray et Mary T.Smith le samedi et le dimanche de 12h à 19h jusqu'au 17 mars.

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Cinéscopie n°26, 2012: BM, "Brunius, un cinéaste surréaliste en DVD"

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     Bon, je vais pas la ramener trop encore sur Jacques Brunius, parce que j'en ai déjà abondamment parlé dans cette colonne de notes sans fin (ou presque). Le compte-rendu que j'ai publié dans la revue ci-dessus citée, en juin 2012, est une reprise de la note qui a paru ici même et qui est donc désormais aussi fixée sur papier (car les blogs durent ce que durent les fleurs, en un peu plus longtemps seulement...). A noter que cette revue destinée aux fondus de cinéma amateur, notamment Super 8, animée par un passionné fort sympathique, par ailleurs dessinateur autodidacte de grand talent (voir ci-dessous un de ses dessins), Michel Gasqui (alias Migas Chelsky), s'est aussi intéressée aux Bricoleurs de Paradis entre autres pour mes films Super 8 des années 1980 qui se retrouvent dans les bonus du DVD paru avec mon livre Eloge des Jardins Anarchiques, et dans certaines des incrustations du film.

 

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Migas Chelsky, Bidule 1

Pour obtenir Cinéscopie, voir le blog http://cinescopie.unblog.fr/

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Création Franche n°37, décembre 2012, BM: "Bernard Jugie, un petit musée à usage interne"

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     Autre découverte que j'ai faite l'été dernier, avec la maison Péridier et autres merveilles dont je devrais bientôt parler, voici un petit article, avec de belles photos en couleur, bien imprimées (j'en suis très fier, si, si) sur un créateur populaire à la retraite, Bernard Jugie.B.Jugie-dans-son-petit-musé.jpg Je l'avais repéré en passant un jour par Billom dans le Puy-de-Dôme, du moins n'avais-je entraperçu que des petits décors naïfs placés au-dessus d'une porte et d'une fenêtre en rez-de-chaussée. J'ai attendu deux ans pour faire le tour du petit musée qui se cachait à l'étage. Quelques merveilles nous y attendaient moi et les deux camarades de dérive de cet été-là. Dont certaines se retrouvent ainsi photographiées et en pleine page dans ce dernier numéro de Création Franche. C'est la révélation d'un attachant créateur populaire caché au fond de l'Auvergne.

 

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Une des pages consacrées au petit musée de Bernard Jugie, Création Franche n°37

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Bernard Jugie, un renard taillé dans de l'aggloméré, coll. et photo inédite BM, 2012

       A noter au sommaire de cette livraison d'autres contributions de Gérard Sendrey sur "Lucie M. dite de Syracuse", de Bernard Chevassu sur Christian Guillaud, de Joe Ryczko sur un "Monsieur Grosjean, constructeur d'automobiles en chambre", un projet des étudiants de l'association Campus dynamique sur une prochaine exposition du musée de la Création Franche hors les murs ("La Création Franche s'emballe! Itinérance d'une collection insoumise", du 4 au 14 février 2013 au Bâtiment 20 des Terres Neuves aux lisières de Bordeaux et de Bègles, première étape d'une exposition d'une centaine d'œuvres de la collection qui devrait partir en balade, nous dit-on, excellente initiative...), un texte de Pascale Marini sur Aloïse et Dubuffet et aussi des contributions de Paul Duchein sur Labelle et Dino Menozzi sur Enrico Benassi.

 

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On reconnaît sur cette affiche un masque de Simone Le Carré-Galimard

La revue est disponible au musée ou en écrivant au contact du site web du musée.

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Les Maçons de la Creuse, bulletin de liaison n°15, daté juin 2011 (en réalité imprimé et disponible en janvier 2013), avec deux textes de BM: "François Michaud n'était pas seul, quelques exemples d'environnements populaires créés avant le Palais Idéal du Facteur Cheval" et "La dynastie des Montégudet, inspirés de père en fils"

 

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     Dans ce bulletin, le deuxième texte sur les Montégudet, je l'avoue sans peine, est  le même que celui publié dans mon livre Eloge des Jardins Anarchiques (qui lui-même était dérivé des notes parues sur ce blog...). Il est cependant mis en page différemment et comporte des photos supplémentaires inédites du petit musée privé de René et Yvette Montégudet, descendants et continuateurs de Ludovic Montégudet l'ancien maire de la commune creusoise de Lépinas qui avait créé un espace ludique et poétique avec statues et divertissements variés autour de son étang.

    Le premier texte quant à lui, "François Michaud n'était pas seul", est par contre une amplification d'un texte précédent paru dans Création Franche n°28 en 2007 (« François Michaud et les autres, quelques exemples d’environnements populaires sculptés avant le Palais Idéal du facteur Cheval »). De nouvelles photos inédites et des paragraphes nouveaux évoquent quelques sites anciens ayant précédé les Facteur Cheval, abbé Fouré ou abbé Paysant. Par exemple les statues du sabotier Jean Molette auteur dans les monts du Lyonnais d'une œuvre naïve, taillée dans la pierre et le bois, tout à fait remarquable. Il fit des Napoléon, Ier et IIIe du nom, une immense Madone, une fontaine ornée d'un écu et de lions, des croix de chemin, le tout en plein air (certains restaurés par les architectes des Monuments Historiques, car ils sont classés à l'Inventaire). Ce bulletin me permet aussi de présenter un extraordinaire panneau sculpté du même Molette – en 1854, excusez du peu... –, parfaitement inédit jusqu'à présent, consacré à la gloire de l'Empereur Napoléon III dont ce sabotier était raide dingue (comme François Michaud le tailleur de pierre de la Creuse dont mon article le rapproche). "Le Tableau des Souverains de France" étant le titre de l'œuvre de Molette entièrement vouée à chanter les louanges impériales (Napoléon III est représenté à cheval entouré de 78 médailles chargées de figurer les rois de France que l'Empereur surclasse selon l'auteur). Ce bas-relief fut longtemps conservé dans les archives locales jusqu'à ce qu'il parte chez les brocanteurs à une date récente, et de là dans une collection privée parisienne. Ces représentations naïves et populaires de Napoléon correspondent au regain de bonapartisme que l'on put observer dans diverses campagnes auour de 1852 en France lors du retour au pouvoir d'un Bonaparte. On trouve maintes références à cette napoléonimania, qui ressemble à un culte, sous la forme de statuettes ou d'imagerie, voire de fresques.

 

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Le Napoléon Ier et le panneau sculptés par Jean Molette, et autres décors situés en plein air avant le Palais Idéal... Les Maçons de la Creuse n°15, pages de l'article de BM

 

      Dans ce bulletin, je donne un autre exemple de décor napoléonolâtre photographié (là aussi, c'est complètement inédit) dans le Puy-de-Dôme près de La Tour d'Auvergne (voir ci-dessus). D'autres décors sculptés sur des maisons rurales du Cantal, que m'avait naguère signalés Emmanuel Boussuge sont également présents dans le numéro. Par ailleurs, l'article est flanqué d'encarts dus à la rédaction du bulletin (Roland Nicoux) et de nombreuses photos qui ajoutent de précieux renseignements sur les sculptures de François Michaud à Masgot. L'édition du livre que nous avions fait à plusieurs en 1993 sur ce créateur précurseur des environnements bruts et naïfs du XXe siècle aux éditions Lucien Souny étant désormais épuisée, ces précisions et photos sur Michaud viennent redonner un peu de lumière au sujet.

 

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Raymond Arthur, arrière-petit-fils de François Michaud, sur le seuil de sa maison en 2009, ph. BM

 

      J'en profite pour signaler également ici la disparition récente de Raymond Arthur dans sa 92e année, l'arrière petit-fils de François Michaud qui avait pieusement conservé l'œuvre de son aïeul et soutint le travail de médiation et de mise en valeur du site par l'association des Amis de la Pierre basée sur la commune (Fransèches, son président est le maire, M. Delprato), tout en livrant les souvenirs qui lui restaient à propos de son ancêtre (c'est à lui que l'on doit de connaître le surnom qu'avait Michaud auprès de ses concitoyens, "Navette"). Il fut le véritable passeur entre son aïeul et les générations actuelles, en même temps que l'ardent défenseur du patrimoine bâti et sculpté de son village.  

Pour se procurer ce bulletin n°15, il faut écrire à: Les Maçons de la Creuse, 2, Petite Rue du Clocher, 23500 Felletin. Tél 05 55 66 90 81 ou 05 55 66 86 37. Lebulletin vaut 19€.

07/09/2012

Emancipations à Ste-Anne

    On ne trouve pas de l'art brut inédit tous les jours. Le Centre d'Etude de l'Expression, situé dans le Centre Hospitalier Ste-Anne et dirigé par Anne-Marie Dubois, avec la collaboration de Jean-Christophe Philippi et Antoine Gentil (c'est la deuxième fois que ces deux-là travaillent avec le Musée Singer-Polignac, le lieu où sont traditionnellement montées les expos du Centre d'Etude)¹, propose pour les semaines qui viennent la manifestation intitulée "Emancipations". Aux dires de Jean-Christophe Philippi, on devrait y trouver du nouveau, notamment des oeuvres de la Collection Ste-Anne peu vues voire jamais exhibées.

 

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     Voici ce qu'en dit Anne-Marie Dubois dans le communiqué de presse: 

     « S’émanciper, c’est sortir des sentiers battus, des carcans et avoir accès à de nouvelles libertés de regards et d’expressions. Cette nouvelle exposition constituée de rencontres entre des artistes provenant d’horizons différents, permet à la Collection Ste-Anne d’affirmer sa particularité hors des catégories et des références pré-établies.

      Il s’agit de se laisser guider par son plaisir et son émotion en s’émancipant de ses références artistiques et culturelles. »

     Selon elle, les travaux des créateurs de la Collection, anciens pensionnaires d'hôpitaux où ils s'approprièrent l'art dans une démarche ultra-personnelle par besoin d'expression, histoire probablement de distendre un peu les barreaux de leurs cellules, ces travaux ne se nourriraient que d'eux-mêmes, à la différence des oeuvres d'artistes contemporains singuliers avec lesquelles l'expo organise une confrontation. C'est là revenir à une vision orthodoxe de l'art brut qui date des débuts de l'histoire de cette notion (époque de Dubuffet et Thévoz). Un art brut qui ne se nourrirait que de lui-même peut apparaître aujourd'hui comme une vue de l'esprit, lorsque l'on sait à quel point les créations dites brutes ou spontanées des milieux asilaires sont imprégnées et voisines des expressions populaires traditionnelles, participant d'une culture commune. Et lorsqu'il s'agit de créateurs enfermés d'origine culturelle plus savante, on ne peut faire abstraction si aisément de leurs connaissances artistiques préexistantes. Ce qui caractérise davantage l'art brut, plutôt que d'être hors-culture, c'est la rupture, l'urgence d'expression, la transgression. Ce sont ces notions que mettent en avant aujourd'hui ceux qui continuent de chercher sur l'art brut.

 

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Alfred Passaqui, Collection Centre d'Etude de l'Expression


      Et c'est ce point qui nous mobilise plutôt – et c'est une préocupation qui intéresse sans doute tous les artistes d'aujourd'hui – cette question de l'émancipation, ou de la rupture, comme disait Thévoz, opérée par les créateurs vis-à-vis des modèles d'expression disponibles. Quel est le levier qui déclenche ces déploiements graphiques surprenants, jamais vus, qui finissent par hanter nos mémoires par leur langage inédit et captivant? L'expo Emancipations paraît poser la question.

 

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Hassan

("C'est un artiste d'origine sénégalaise qui travaille dans la rue à Barcelone, il dessine et grave des plans de maisons sur des planchettes de bois", J-C. Philippi)


        Je n'ai pas la liste globale des créateurs et artistes proposés, mais on promet Gustave Cahoreau, Raymundo Camilo, Marie-Noëlle Fontan, Giordano Gelli, Régis Guyaux, Hassan, Paul Hugues, André Labelle, Michel Nedjar, Marilena Pelosi,  Yvonne Robert (voir ci-contre La Chatte à Hortense s'appelle Vanille, de 2007, coll. BM, non exposé à Emancipations),musée singer-polignac,centre d'étude de l'expression,jean-christophe philippi,anne-marie dubois,émancipations,art brut,art singulier  et des créateurs de la collection Sainte- Anne dont Alfred Passaqui, Maurice Blin, Jean Janès (que personnellement je ne trouve pas terrible). Ces deux derniers sont actuellement exposés au Musée d'Allard à Montbrison dans l'expo "De l'art brut et d'autres choses...", dont le commissaire d'exposition est Alin Avila, par ailleurs directeur de la revue Area². Voici à la suite quelques images de certains créateurs parmi les moins connus, présentés au musée Singer Polignac, que je dois à l'obligeance de Jean-Christophe Philippi pour plusieurs d'entre elles. On remarquera qu'un autre des fils rouges de l'expo renvoie aux réitérations de formes qui paraissent le mode privilégié de structuration des œuvres. Attention cependant que ce choix de montrer des images basées sur des répétitions de formes ne contribue pas ancrer dans l'esprit des amateurs que l'art brut peut être, lui aussi, le siège d'un certain nombre de poncifs (une expo à venir de Marco Raugei à la Galerie Rizomi de Turin allant aussi dans ce sens), tant il existe d'œuvres ressemblant parfois à des planches iconographiques de catalogues (véhicules divers en rang d'oignons à la David Braillon, parapluies de Gugging, vaches à la Krüsi, volatiles ou armes à la Blackstock, etc...).

 

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Maurice Blin, tel qu'il est exposé au musée d'Allard à Montbrison ; "Loulou ayant chaud/Mit son nez au Paul Nord/Attrappa une engelure/Et repartit au Paule Sud,/Avec une couverture"...


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Paul Hugues

("Paul Hugues est un artiste qui figure dans le premier catalogue de l'Aracine, il a dessiné à l'atelier de l'hôpital de Brévanne (gérontologie). C'est une oeuvre du grand âge", J-C. Philippi)

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Giordano Gelli (provient de l'atelier de La Tinaia à Florence)

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Régis Guyaux (centre d'art "'La Hesse" à Vielsam en Belgique)


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¹ Jean-Christophe Philippi a par ailleurs fait l'objet d'une exposition personnelle au Musée Singer-Polignac, comme je l'avais également signalé en son temps.

² Cette exposition, à Montbrison (Loire), qui court jusqu'au 4 novembre prochain, a fait l'objet d'un catalogue où l'on retrouve les images des oeuvres montrées dans l'expo et quelques textes intéressants comme l'excellente contribution de Mme Michèle Gendrat, "ancienne élève de l'Ecole du Louvre", qui présente très honnêtement et très précisément ce qu'est l'Art Brut. A noter aussi que cette exposition présentait des panneaux gravés d'Alain R., détachés donc des murs de Rouen dont ils font partie usuellement. Exposés de façon ainsi déplacée, dans un contexte muséal, ils accédaient au rang d'œuvre de type lettriste. Un lettrisme brut... Le film Playboy communiste de David Thouroude et Pascal Héranval était diffusé parallèlement pour restituer heureusement le contexte d'origine de ces graffiti.

02/09/2012

Histoires de voir, à voir...

     L'exposition ainsi intitulée à la Fondation Cartier à Paris veut nous entraîner du côté de "l'art naïf", à ce que dit le catalogue ("conçu comme un prolongement de l'exposition"). Après visite de l'expo, j'eus la forte impression que le terme n'avait pas le même sens pour moi que pour les organisateurs de la manifestation – ou, plus exactement, pour les auteurs du catalogue (je pense notamment à son texte liminaire dû à Laymert Garcia Dos Santos). C'est comme si on avait affaire à une conception venue d'ailleurs, d'une région du monde où les mots ont cheminé avec d'autres réseaux de sens (les commissaires de l'expo que je ne connaissais pas comme s'intéressant depuis longtemps aux arts naïfs – mais je suis bien loin d'être informé de tout – sont Hervé Chandès, Leanne Sacramone, assistés de conseillers comme André Magnin – plus connu lui par rapport aux arts populaires africains – ou encore Hervé Perdriolle (l'Inde) et Patrick Vilaire (Haïti)).

 

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Le catalogue avec un dessin d'Isaka sur la couverture (dessinateur Huni Kuï (ou Kaxinawá) d'Amazonie brésilienne)

 

    C'est pourtant bien à un décentrement de perspective que l'on nous invite, sans que cela s'étende a priori à la notion même d'art naïf. On invite avant tout dans le discours de l'exposition tel qu'on le trouve par exemple sur le site de la Fondation à remettre en cause les idées arrêtées professées par les amateurs d'arts savants vis-à-vis des arts pratiqués par des autodidactes naïfs ou "primitifs". Ce qui n'est pas un message absolument nouveau, on en conviendra (même s'il mérite toujours d'être réitéré). 

    "Art naïf" jusqu'à présent, en France, c'était plutôt réservé à un ensemble de peintures, et de sculptures, exécutées par des autodidactes d'origine populaire (souvent des déracinés) tentant de s'égaler aux plus grands des peintres et qui produisent un art autre cependant, où les éléments représentés sont proportionnés en fonction de la réalité affective, psychologique, sentimentale, etc., que leur accorde l'inconscient de chaque artiste (ce qui conduisit G-H.Luquet au début du XXe siècle à parler pour sa part de "réalisme intellectuel"). Certaines incapacités devant les volumes et la perspective les conduisent bien souvent vers des solutions plastiques inédites qui ravirent par exemple Picasso lorsqu'il découvrit certain tableau de Rousseau, dont les visages peints avec des repentirs lui parurent préfigurer ce qu'il créait lui-même dans sa période dite cubiste. L'art naïf, cela reste figuratif et se référant à la réalité perçue de façon rétinienne. C'est Bauchant, Rousseau, Vivin, Peyronnet, Lagru, Trouillard, Jean-Jean, Préfète Duffaut, Orneore Metelli, Ligabue, Dietrich, Trillhaase, Alfred Wallis, et toutes sortes d'anonymes, les ex-voto aussi...

Vidéo disponible sur le site de la fondation Cartier

     Les créateurs, venus d'un peu partout (l'Amérique du Sud, l'Amérique Centrale, l'Afrique, l'Inde, l'Asie), à la fondation Cartier, dans une expo qui au fond semble faire un lointain écho à cette autre manifestation plus ancienne de 1989, Les Magiciens de la Terre,¹ ne me paraissent pas relever de cette définition traditionnelle de l'art naïf (à part peut-être le mièvre Hans Scherfig, ou l'intriguante céramiste brésilienne Isabel Mendes Da Cunha). On nous propose là plutôt des formes d'expression cherchant, sous des dehors archaïsants, ou s'efforçant de l'être, une forme d'immédiateté hésitant entre stylisation, décoratif et art pauvre. Le tout me laissant l'impression d'une recherche à la fois cultivée et de style enfantin, préférant parfois les formes sommaires aux limites du dégrossi (José Bezerra), recherche et parcours présentés dans une atmosphère douce et colorée comme du papier à bonbons (la muséographie d'Alessandro Mendini n'y étant pas pour rien, ses œuvres personnelles – que font-elles là? – étant par ailleurs particulièrement fades).

 

H de voir Alcide pereira dos santos.jpg

Exposition Histoires de Voir, image extraite du site de la Fondation Cartier


     On a du mal à identifier ce qui appartient aux créateurs présentés et ce qui relève de la muséographie. Sont également mêlées les unes aux autres des expressions simples et des expressions fouillées (parmi ces dernières, citons les filets de pêche de l'Indien Jivy Soma Mashe qui parvient à des compositions complexes, tombant là aussi dans le décoratif, à l'aide d'éléments géométriques basiques comme le triangle, le rond et le carré ; les céramiques de la famille Ortiz au Mexique ; les drapeaux vaudou d'artistes haïtiens choisis en fonction de leur dimension à la fois stylisée, en apparence archaïque et encore décorative, alors qu'il en existe d'autres en Haïti bien plus figuratifs et narratifs dans ces mêmes supports). Ces expressions fouillées, voire complexes, sont là pour démontrer, semble-t-il, que l'art naïf et populaire n'est pas synonyme de simplet, ce que tout bon connaisseur du champ sait depuis longtemps. Mais la complexité proposée dévie trop souvent du côté d'un décoratif stylisé propre à séduire les designers contemporains. Tout cela est un peu trop raffiné, trop propret, il manque une certaine âpreté, une certaine rugosité.

   

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Jean-Baptiste Jean Joseph, Pieuvre, 2001, drapeau en paillettes brodées sur tissu, 108x105,4 cm


     Il y a du déchet aussi dans cette sélection: pourquoi avoir sélectionné par exemple le Scherfig déjà cité, et Mamadou Cissé, avec ses villes imaginaires ennuyeuses parce que sérielles et répétitives comme des circuits imprimés, pâle copie de Bodys Isek Kingelez (révélé en Europe voici prés de 25 ans dans les Magiciens de la Terre là encore), voire proche du Français récemment exposé au Pavillon Carré de Baudouin à Paris, Marcel Storr? Pourquoi avoir choisi aussi cet artiste japonais, Tadanori Yokoo (ci-dessous un portrait de Loti truffé de cigarettes), qui ouvre le bal au rez-de-chaussée de la Fondation avec des pochades d'étudiant, des Douanier Rousseau parodiés, qui intéressent surtout les enfants amateurs du jeu des 7 erreurs)?Tadanori Yokoo.png

     On se sert aussi de la caution de Mme Nina Krstic, "directrice du musée des arts naïfs et marginaux" de Jagodina en Serbie, pour nous faire avaler la pilule de l'art naïf qu'on veut ici nous vendre, alors que les connaisseurs ont depuis longtemps la conviction que ce dernier musée rassemble des autodidactes en tous genres, la plupart très artistes bien plus que véritablement "naïfs" (comme c'est souvent le cas dans les pays slaves, où la confusion art populaire/art brut/art naïf/art singulier/art contemporain règne en maître). L'artiste qu'elle nous présente, Dragiša Stanisavljevic, "qui fait partie d'une famille d'artistes renommés du XXe siècle", comme elle dit, attire l'attention dans le catalogue et moins de visu dans l'expo, pratiquant une sculpture fort stylisée tendant au signe pur tant il cherche à réduire le nombre de ses lignes structurantes, mais on est là dans une recherche de simplicité qui laisse indifférent par manque d'émotion peut-être.

 

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Ciça, exposée dans Histoires de Voir, encore une nouvelle façon de faire les visages...


   Par ailleurs certaines oeuvres également présentes dans cette expo fourre-tout sont en réalité des récits ou des représentations mythiques (exemple des dessins yanomanis fort passionnants comme ceux de Taniki par exemple), comme on les connaît chez les Aborigènes australiens, ou chez certains Amérindiens, ou Inuits (cela aussi est à rapprocher des Magiciens de la Terre où je me souviens que l'on pouvait voir, à la Grande Halle de la Villette, l'expo étant distribuée sur deux espaces, Beaubourg et La Villette, des dessins mnémotechniques supports de récits chamaniques). Cela fait un certain temps que les spécialistes ont repéré de ces images qui servent de support à des visions chamaniques, cosmologiques, étiologiques (les peintures indiennes en rouleaux verticaux comme supports de contes), voire médicinales (je pense aux rouleaux-remèdes éthiopiens qui avaient été montrés à l'expo Le roi Salomon et les maîtres du regard, Art et Médecine en Ethiopie, au regretté musée des Art Africains et Océaniens de la Porte Dorée).

     Signalons aussi la présence d'un sculpteur d'origine incontestablement populaire, brésilien, Nino, surnom de Joao Cosmo Félix Dos Santos, dont les animaux ultra stylisés, à peine dégagés du bois informe dont ils furent tirés, retiennent l'attention du visiteur au sous-sol de l'expo, je pense à un éléphant notamment, tellement réduit à sa plus simple expression qu'il finit par ressembler à une espèce de molaire. On est  là avec lui aux confins de l'art brut et de l'art populaire. A noter que des bustes de lui font également partie de la collection d'art brut ABCD à Montreuil.

 

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Bustes de Nino (Dos Santos) sur le site d'ABCD ; non exposés à la Fondation Cartier

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1. Une autre exposition qui se tint au Grand Palais à Paris, Brésil, Arts populaires, en 1987, paraît être aussi une source de cette expo à la Fondation Cartier. Y étaient notamment présents Nino et Ciça (dont un masque servait d'illustration au catalogue édité dans la revue L'Internationale de l'Imaginaire, n°8-9, printemps 1987).

L'exposition dure jusqu'au 21 octobre

28/07/2012

Création Franche n°36

    Sortie des presses au début de la grande période de transhumance des juillétistes et des aoûtiens, on peut dire que la dernière livraison de la revue Création Franche, émanant du musée éponyme, se soucie comme d'une guigne des périodes traditionnelles de publication. C'est une revue sur l'art contemporain marginal qui paraît à des périodes marginales, et c'est donc cohérent.

 

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     Au sommaire de ce numéro, j'ai avant tout retenu les interventions de la nouvelle directrice de la Collection d'Art Brut de Lausanne, Sarah Lombardi, sur Frédéric Bruly-Bouabré, ainsi que l'article de Déborah Couette sur le thème du voyage dans l'art brut à travers les errances et les fugues d'un aliéné nommé Albert Dadas, personnage qui m'avais moi-même frappé dans le livre de Ian Hacking, Les Fous voyageurs (édité en français voici dix ans chez Les Empêcheurs de Penser en Rond en 2002), et que Savine Faupin avait déjà cité en 2007 dans le texte "Le Voyageur immobile" du catalogue de l'exposition "Trait d'Union, Les Chemins de l'Art Brut (6) à St-Alban-du-Limagnole" (pp.66-67).

 

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René Rigal, L'Africain détail de Si tous les gars du monde... (autre titre, selon Jeanne Ferrieu de la galerie La Menuiserie à Rodez: Les cinq races), bouquet de cannes sculptées représentant chacune un type humain différent (Asiatique, Africain, Européen...) et guettées à leurs pieds par une effigie de diable cornu, Musée Eclaté de Cardaillac, ph. Bruno Montpied, 2011 ; par la suite, cet ensemble de sculptures a été transporté à la galerie La Menuiserie, où on peut la voir durant cet été

 

     Pour ma part, je livre dans ce numéro un court texte, "René Rigal, hors des rails", à propos de ce sculpteur de branches hors du commun que j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer dans la colonne de ce blog.

   J'aurai l'occasion dans les mois qui viennent de revenir avec plus d'informations et de photos au sujet de ce grand créateur originaire de l'Aveyron, malheureusement disparu en 2008.

09/06/2012

Verbena à la collection de l'art brut: on brouille les pistes mais aussi le message

    J'ai reçu récemment en lien une note de la galerie d'Alain Paire se félicitant de l'exposition prévue pour l'an prochain d'œuvres de Pascal Verbena, un ancien de l'art singulier (il était à l'expo des Singuliers de l'Art en 1978 au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, présenté dans ce cadre via l'Atelier Jacob d'Alain et Caroline Bourbonnais). Ce qui me chiffonne un peu, ce n'est pas l'annonce de cette expo – il y en a régulièrement, notamment à la galerie Alphonse Chave de Vence – mais c'est que cela se passera à la Collection de l'Art Brut, dont on sait que la direction a récemment changé de tête (Lucienne Peiry remplacée par Sarah Lombardi). Lorsqu'on s'avise que dans le même temps, on n'y parle plus depuis longtemps de la Neuve Invention, l'ex-"Collection Annexe", réservée aux marginaux coincés entre art brut et art contemporain, et que l'on paraît désormais y mélanger tout allégrement (Chaissac, qui se disait "rustique moderne" et non pas "brut"', est exposé à côté d'Aloïse sans plus de manières), on peut légitimement se demander si on n'est pas en train du côté de Lausanne de nous préparer une grande liquidation de la notion même d'art brut, ce qui serait une belle revanche –aux allures d'OPA?– des tenants de l'art plastique contemporain sur l'art brut.

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Difficile de trouver des images grand format de Verbena sur la Toile, celle-ci provient d'un numéro des débuts de Raw Vision

    Certes Verbena, on prend soin de nous l'indiquer soigneusement dans la note d'Alain Paire, "totalement autodidacte, (...) ne fréquenta jamais les cours des Ecoles de Beaux-Arts et sut se créer lui-même ses repères esthétiques". Certes, mais comme il est dit aussi ailleurs dans cette note, il donne des titres fort cultivés à ses dessins ou sculptures: ""Tatou", "Kachina", "Malebouche", "Phalène", "Allobroge", "Pachamama", "Cryptogame" ou bien "Boustrophédon", le très fascinant système d'écriture qui change ligne après ligne les sens dont on fait lecture". Ce sont là titres recherchés, ce que je ne dispute pas ici, car tout artiste a le droit d'aller chercher son miel où il veut, et de la manière compliquée qu'il veut. Ce que je discute, c'est qu'en l'occurrence cette recherche dans les titres accompagne une recherche plastique que je trouve elle-même personnellement fort lourde, pesante à l'excès, avec ces espèces de reliquaires d'assemblages aux teintes sombres qu'affectionne l'artiste, écrasant d'ennui le spectateur que je suis. Oui, Verbena s'est "créé lui-mêmes ses repères esthétiques", mais ce sont là repères cérébraux et sans émotion à la clé, un esthétisme massif et dépourvu de la moindre grâce, à la rigueur décoratif comme dans ses dessins aux arabesques élégantes mais sans âme. Toute grâce est absente, ainsi que toute innocence,  au rebours des œuvres de l'art brut justement (du moins celles que je préfère, car même dans l'art dit brut tout n'est pas toujours fondé sur "la pierre angulaire de l'ingénuité" (Breton)). Ce qui justifiait entre autres qu'il ait pu être rangé à un moment dans la collection annexe de Lausanne. Oublier de le rappeler demain, en 2013, serait rendre un très mauvais service à ce qui se défend derrière la notion d'art brut, dans laquelle, par ailleurs, j'entends davantage la notion de  "brut" que la notion "d'art".

     Ce qui se défend derrière cette notion, et qui, jusqu'à l'invention de "l'art brut", selon moi, n'avait été représenté jusque là que par l'art populaire rustique et l'art naïf, c'est le secret de fixer dans une expression immédiate la poésie ressentie dans son instantanéité. L'art contemporain dans ce qu'il a de meilleur est parfois loin de nous le proposer, et c'est pourquoi il faut rendre grâce à la collection d'art brut d'exister, en évitant d'en brouiller le message avec ces propositions verbénesques, insuffisamment inspirées qui plus est (opinion qui n'engage bien entendu que moi).